Mireille Fournier est étudiante au Québec et prend part aux manifestations. Elle entre cette année en licence de droit.
Après avoir dissout le Parlement, le Premier ministre de la province du Québec, Jean Charest a annoncé la tenue d’élections législatives anticipées en septembre prochain. Les élections ne se tiennent pas à date fixe au Québec, ce qui aurait permis au gouvernement de rester en place jusqu’à la fin de 2012. Mais devant l’imminence de la rentrée scolaire, le 15 août prochain, le Premier ministre s’est vu forcé de renoncer à ses fonctions pour demander à la population de se prononcer sur la légitimité de son gouvernement.
Cela s’explique par le fait que le "Printemps québécois" n’a pas perdu son élan au cours de l’été, ayant rassemblé près de 50 000 personnes pour une manifestation en plein cœur des grandes chaleurs de juillet et près de 5 000 pour la manifestation nocturne du 1er août. Tout porte donc à croire que sans la tenue prochaine de ces élections, la rentrée scolaire prévue pour le 15 août aurait été très mouvementée.
L’indépendance et les frais de scolarité, piliers des élections
Pour comprendre les enjeux de cette élection sur fond de crise, il est nécessaire d’être familiarisé avec certains aspects de la politique québécoise.
Tout d’abord, un parti ne peut pas simplement représenter la droite ou la gauche, il doit aussi prendre position sur une question constitutionnelle fondamentale : le Québec doit-il être ou non un pays indépendant. Or, il y a présentement trois partis souverainistes au Québec en ordre de popularité : le Parti Québécois (PQ), Québec Solidaire (QS) et Option nationale (ON), et deux partis en faveur du statut quo constitutionnel : le Parti Libéral du Québec (PLQ, présentement au pouvoir) et la Coalition Avenir Québec (CAQ).
Aussi, tous les partis souverainistes se disent officiellement sociaux-démocrates et appuient à divers degrés la cause étudiante, tandis que les partis fédéralistes défendent tous deux l’idéologie libérale de centre droite et sont fermés aux revendications des étudiants. Par conséquent un profond vide politique s’est creusé au Québec : il n’est pas possible de voter à gauche sans soutenir l’idéal indépendantiste.
Une carte électorale inégale
Mis à part le manque de diversité d’opinion chez les partis politiques québécois, un autre problème de notre système politique est la disparité qui existe entre le poids d’un électeur vivant dans un centre urbain vis-à-vis d’un électeur des régions rurales. En effet, la carte électorale ne tenant pas compte de l’augmentation de la densité de la population urbaine, elle favorise certaines régions au dépend des villes. Or, les étudiants résident pour la plupart dans les centres urbains, puisque c’est là que se trouvent les principales universités. Par conséquent, le poids de leur vote en est affecté.
Une passation des pouvoirs
Il faut cependant admettre que cette élection représente un symbole pour la génération des étudiants. C’est la première fois en plusieurs décennies de politique québécoise, que l’enjeu principal d’une campagne électorale touche la génération des 18-34 ans, le groupe ayant eu le taux de participation le plus bas à l’élection de 2008, soit 45%. Ce gain immense peut s’illustrer par le fait que Léo Bureau Blouin, l’ex-représentant de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec), ait été recruté comme candidat vedette du Parti Québécois à l’âge de 20 ans. Bref, il est possible d’y voir le début d’un transfert des pouvoirs au niveau générationnel.
Bien sûr, cette élection ne changera pas entièrement le visage politique québécois. La moyenne d’âge reste extrêmement élevée chez les représentants des partis politiques notamment chez le Parti Québécois, le Parti Libéral et La Coalition Avenir Québec, des partis qui laissent assez peu de place aux jeunes dans l’organisation de leurs campagnes. Aussi, en comparaison de la campagne présidentielle d’Obama en 2008, les partis politiques Québécois sont gravement en retard dans l’élaboration de leur stratégie 2.0 (impliquant les médias sociaux), notamment pour les techniques de financement et la publicisation de leurs idées.
Nuance en tons de crise
Bien que la crise opposant les étudiants au gouvernement québécois sur l’enjeu de la hausse des frais de scolarité soit à l’origine de cette élection estivale, elle n’est pas le seul enjeu électoral fortement médiatisé. En fait, le gouvernement libéral est toujours aux prises avec des allégations de corruption ; en particulier concernant le secteur de la construction et le développement des ressources naturelles du grand nord québécois. Une corruption que dénoncent d’ailleurs tous les autres partis politiques.
Aussi, il est important de rappeler que contrairement aux revendications populaires en cours en Espagne ou en Grèce, la crise politique Québécoise n’est pas motivée par la précarité du contexte économique. Les fonds publics sont rongés par la corruption, mais le taux de chômage chez les jeunes n’est pas un facteur aggravant au Québec. C’est donc une crise purement idéologique qui secoue la province depuis ces derniers mois, en particulier depuis l’adoption de la loi 78. Cette loi qui restreint le droit de manifestation a, en effet, été décriée par la commission québécoise des droits de la personne, étant contraire à plusieurs principes fondamentaux de la constitution.
Lors de l’annonce des élections, le Premier ministre Charest a dit : « c’est maintenant que nous allons décider du Québec dans lequel nous voulons vivre. » Effectivement, il n’aurait pas pu mieux dire. Sauf que selon la tendance qui se dessine, le Parti Québécois prenant de l’avance, le Québec qui sera choisi ne sera peut-être pas le sien. Reste à savoir si ce sera celui des jeunes générations qui, par leur engagement et leur assiduité à prendre la rue, ont réussi à provoquer la tenue d’une élection qui s’adresse enfin à eux.