« Real Life Super Heroes », de Pierre-Elie de Pibrac est enfin sorti ! En avril dernier, Citazine avait rencontré le photographe alors qu’il cherchait encore des financements sur Ulule notamment. Depuis, l’argent a été trouvé et le bouquin édité. Ce livre, c’est l’histoire d’un étonnant projet. D’abord une immersion au cœur des Etats-Unis, à la rencontre des « Real Life Super Heroes », ces super héros de la vie réelle qui n’hésitent pas à chausser leur masque pour venir en aide aux autres. Puis, les différentes interprétations artistiques du photographe sur les motivations de ces êtres étonnants.
Outre les nombreuses photos qui vous emmèneront dans l’univers aux couleurs criardes de DC’s Guardian ou plus sobres de Life, une fiche d’identité présente chacun des super héros rencontrés. Des textes de spécialistes viennent également éclairer un sujet plus compliqué qu’il n’y paraît, au sujet d’individus peut-être pas si dingues. Ainsi, le sociologue Eric Maigret trouve les racines de leur existence dans une Amérique où sont portés aux nues « la réussite individuelle et l’esprit de compétition, mis au service de la communauté ». Xavier Fournier, spécialiste des super héros et rédacteur en chef de Comic Box, un magazine en ligne consacré aux Comics, rappelle la construction du terme « super héros » dans l’imaginaire collectif américain et replace ainsi dans un contexte culturel et historique l’apparition aujourd’hui des Real Life Super Heroes.
Real Life Super Heroes, c’est un livre un livre de photographies spectaculaires, surtout vu de France. C’est le cheminement du photographe à partir d’un thème donné. Enfin, c’est une approche passionnante pour comprendre ces RLSH, concentrés d’histoire, de culture et des valeurs américaines.
> Ci-dessous l’article publié le 5 avril dernier sur la démarche et l’objectif du photographe Pierre-Elie de Pibrac. Sous le titre « les Super Héros et le photographe ».
Zetaman de Portland, DC’s Guardian de Los Angeles, Life de New York, Captain Jackson de Jackson, Captain Prospect de Washington, The Watchman et Blackbird de Milwaukee, Master Legend d’Orlando. Ils ont tous un point commun, ils sont des super-héros dans la vraie vie. Des « real life super heroes », des RLSH. Un phénomène croissant aux Etats-Unis qui concerne des citoyens vivant aux quatre coins du pays. Ils ont décidé d’aider la veuve et l’orphelin, les démunis et les sans-abris, les victimes et les personnes sans défense. Ils ont décidé de le faire en collant, en costume de super-héros. Plusieurs fois par mois ou plusieurs fois par jour, pour les plus acharnés. Protecteur, éducateur, justicier, ils interviennent auprès de la communauté, lui viennent en aide, la réprimande. Des vengeurs masqués qui court-circuitent parfois le travail de la police.
Un jeune photographe français s’est intéressé au mouvement. Que pouvait bien cacher les masques, les capes et les collants ? Pierre-Elie de Pibrac a d’abord enquêté depuis la France. Il a pris les premiers contacts. Notamment avec Zetaman. « C’est grâce à lui que j’ai pu approcher les autres. Il a une WebTv, il est visible. »
Rien ne le prédestinait à se frotter aux RLSP même s’il adorait sa figurine de Captain America, quand il était petit. Non, il s’est seulement posé la question : « Comment se fait-il qu’on en soit arrivé à devoir se déguiser en super-héros pour faire une bonne action ? Normalement une bonne action, on peut la faire en tenue civile ! »
Comment s’est opéré ce basculement de la fiction à la réalité ? La culture comics est-elle montée à ce point à la tête des Américains ? Les Américains sont-ils tous des timbrés ? D’après Pierre-Elie de Pibrac, même si les origines sont contestées, au tout début était le le catch mexicain, le lucha libre, et le catcheur mexicain, le luchador. Il porte un masque traditionnel qui représente son identité de lutteur. L’un d’eux aurait un jour voulu aider les populations démunies des favélas mexicaines. Ce n’est que portant son masque qu’il réussit à être accepté. Les RLSP était né même si aux Etats-Unis, ce n’est pas au catch mais à la culture Comics qu’on emprunta les accessoires du justicier.
Méfiez-vous des contrefaçons
Après le débroussaillage en France, direction les Etats-Unis, à la rencontre des super-héros. « Dans les vrais RLSH, il en existe deux sortes. Ceux qui sont plutôt dans l’humanitaire et réalisent des bonnes actions auprès des plus démunis. Et ceux qui sont dans les quartiers chauds pour prévenir des crimes. » Comment ça, des vrais RLSH ? Qui sont donc les faux ? « Certains ont senti le phénomène et veulent seulement faire leur show et profiter du buzz auprès des médias. » Ceux-là, Pierre-Elie n’a pas voulu les rencontrer et les photographier. Les motivations ne sont pas les mêmes. Ainsi Phoenix Jones de Seattle, coqueluche des médias et star du Net, s’est vu écarter du reportage. « Phoenix Jones est le symbole du mec qui n’a jamais rien fait à part le show. A cause de lui, on prend les super-héros pour des bouffons. »
Trente-deux des vrais, purs et durs sont passés devant son objectif. Des portraits en costume. « Je leur demandais de prendre la pause qui les montrait tels qu’ils voulaient être vus. » Du photoreportage. « En train de distribuer des brosses à dents, de la nourriture, de l’eau. » Dans leur quartier, là où ils ont l’habitude de jouer les justiciers. « Le quartier est une notion très importante. Les RLSP agissent vraiment à un niveau local, dans leur quartier, auprès des gens qu’ils connaissent. » Avec le développement d’Internet, les RLSP se sont aperçus qu’ils n’étaient pas seuls. Et s’il s’agit surtout et encore d’actions isolées, ils se réunissent aussi en team et mènent parfois des actions collectives. Ainsi, la New York Initiative, Pacific Protectorate, Black Monday Society, Xtreme Justice League… ont vu le jour et quadrillent le territoire américain.
« Pour la majorité, les comics de référence sont Watchmen et the Spirit. » Tous portent un costume. Certains ne paient pas de mine, d’autres sont réussis, à faire pâlir un Spiderman. Ils n’ont pas de super-pouvoirs mais ont un savoir-faire qu’ils maîtrisent parfaitement. Pour Hell Hound, 23 ans, c’est sa connaissance des arts martiaux. D’autres possèdent des qualités moins spectaculaires. « L’un maîtrise parfaitement l’espagnol, l’autre est doué en informatique, ils le mettent en avant. DC’s Guardian connaît sur le bout des doigts la constitution américaine et va en costume dans les écoles et les bases militaires y faire des conférences. » C’est dire si certains sont parfaitement intégrés « en tenue » dans le tissu social !
Le costume donne le courage d’agir
Sont-ils schizophrènes ? Vivent-ils dans leur propre réalité ? Croient-ils qu’ils pourront sauter d’un immeuble de Manhattan à l’autre, voler le poing levé dans le ciel de San Francisco, développer de noueux muscles verts ? « Non, ils ne sont pas fous. Ils savent qu’ils n’ont pas de super-pouvoirs et restent rationnels, sauf exceptions. Quand ils sont en super-héros, ils sont remarqués. Les gens les interpellent, tout de suite, ce qui permet de créer le contact plus rapidement. Un SDF sera plus facile à approcher. Il se dit : « wouah, un mec en collant veut m’aider ! » Beaucoup racontent aussi que le costume leur donne le courage d’agir. »
Des hommes et des femmes, ado ou du troisième âge, altruistes. Mais en costume. « On a besoin d’aller de plus en plus loin pour se faire remarquer. Même pour aider. Il faut tout le temps faire le show, avoir un enrobage énorme, du gros marketing, pour être remarqué. Les actes de solidarité sont tellement dépréciés qu’il a fallu trouver quelque chose pour les mettre en avant, faire le buzz. S’habiller en super–héros, ça parle à la communauté américaine. Ils veulent lutter contre l’apathie ! »
Oui, le photographe semble admirer ses sujets. Cette capacité à faire le bien autour de soi. « Je ne fais pas du tout l’apologie de ces gens-là. Ils ont une bonté d’âme mais il y a aussi un côté complètement dérisoire à cette situation. Je vois les dérives. D’un côté, on a cet altruisme et de l’autre cet aspect dérisoire, décalé et presque pitoyable. C’est une réflexion globale, pas un point de vue. »
Travail photographique, journalistique et plastique
Photographe explorateur de supports et matières, Pierre-Elie de Pibrac a multiplié les réflexions artistiques autour de ce projet, outre le captivant et surprenant témoignage photographique. Plusieurs expositions, montrant sa propre interprétation de ces Real Life Super Heroes ont eu lieu. Sculptures, photosculptures, figurines, il crée un univers à partir de leurs propres univers. Et à travers ces œuvres est interrogé le rapport entre la société et l’aide à autrui, la fragilité de ces personnages inventés dans la vie réelle, leur imprégnation dans le tissu urbain.
Un travail photographique, journalistique et plastique dont la somme est rendue dans un beau livre. Edité chez PapelArt, plate-forme d’édition et galerie d’art, le livre contient les photos, présente les différents dispositifs plastiques, des textes éclairants sur la réalité de ces super-héros du monde réel. Clou du spectacle, un comics de Mort Todd met en scène les RLSH. Venus du monde réel, ils intègrent la fiction. Une mise en abîme qui boucle la boucle.
> Real Life Super Heroes, de Pierre-Elie de Pibrac, 2012, Editions PapelArt, 1, rue Charlemagne, Paris 4.