Jason Tantra (Alain Chabat), cadreur pour une émission télévisée, rêve de réaliser son premier film, une histoire d’horreur dans laquelle les postes de télévision du monde entier se rebellent et massacrent les humains en les faisant exploser de l’intérieur grâce à des ondes mortelles.
Séduit par ce scénario bien gore, le riche producteur Bob Marshall (Jonathan Lambert) accepte de financer le projet à une seule condition : l’apprenti cinéaste a 48 heures pour trouver l’élément clé du film, le gémissement poussé par les victimes des écrans maléfiques. Alors qu’il tente de trouver le meilleur râle de l’histoire du 7ème art, Jason commence à remarquer des éléments troublants dans son quotidien : réalité, rêve et cinéma semblent se confondre, et ce n’est que le début…
Égarement poétique
Spécialiste de l’absurde, le réalisateur décalé de Steak (2006) et Rubber (2010) va très loin dans ce nouveau film en jouant sans cesse sur nos repères au point que l’on se retrouve très vite totalement déboussolé dans ce curieux labyrinthe qui semble sans issue. Débutant comme une blague assez potache sur ce type Jason, l’excellent Alain Chabat, hurlant à la mort dans un dictaphone afin de trouver le cri d’agonie ultime, tout se complique assez vite quand d’autres histoires parallèles qui semblaient indépendantes viennent se mêler à la quête du cameraman.
Zog (John Glover), cinéaste de génie, est en train de tourner un film pour le producteur Bob Marshall dans lequel une jeune fille dont le prénom est Reality (Kyla Kenedy) tente de convaincre ses parents qu’elle a récupéré une cassette VHS dans le ventre d’un sanglier. Henri (Eric Wareheim) qui est le professeur – dans la « vraie vie », en tout cas c’est l’explication la plus plausible – de la jeune actrice qui joue le rôle de Réalité fait des rêves étranges où il est habillé en femme, pour en trouver la signification il consulte Alice (Élodie Bouchez), une psy qui est également la femme de Jason.
Voici, dans les grandes lignes, les relations qu’entretiennent ces individus et que Quentin Dupieux va complexifier à un point que vous ne pouvez imaginer avant d’avoir vu le film. Au fur et à mesure, le réalisateur met habilement en place le chaos en mélangeant la vie réelle, le rêve et le cinéma qui s’affrontent et se confondent dans un univers complètement improbable.
Le spectateur se retrouve au même niveau que les personnages, totalement perdu dans cette « réalité » déroutante qui se dérobe à toute tentative d’analyse. Il y a quelque chose de résolument poétique dans cet univers absurde où la notion de vérité est toute relative, une seule condition cependant pour apprécier ce trip à sa juste valeur : lâcher prise.
C’est pour rire !
Réalité a été présenté au Festival du Film Fantastique de Gérardmer et au Festival du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez, une double programmation qui marque bien la schizophrénie intrinsèque de cet OVNI. Il est tout à fait possible, en effet, de vivre le film comme un cauchemar éveillé – ou endormi, on ne sait plus très bien – et de s’inquiéter pour la santé mentale du pauvre Jason qui voit sa vie bouleversée et son rêve compromis.
Mais ça serait oublier que le but de ce délire est d’abord de faire rire. Et à ce niveau Alain Chabat, loser magnifique à la dérive, et Jonathan Lambert, producteur pervers à la limite du psychopathe, atteignent cet objectif avec brio.
L’analyse de ce maelstrom, scène par scène, pour tenter de comprendre à quel moment on bascule de la réalité au rêve, de la réalité au film dans le film, etc. – sans oublier les inclusions d’un univers dans un autre –, est toujours possible.
Il est cependant conseillé, au moins lors de la première découverte du film, de se laisser porter par l’absurdité onirique qui s’en dégage et de repousser à plus tard la recherche de la solution rationnelle – si elle existe – de ce casse-tête nébuleux.
Quentin Dupieux alias Mr Oizo accouche d’une réalité incertaine, troublée par le rêve et des fantasmes de cinéma, où plus rien n’existe vraiment qui devrait ravir ses fans fidèles et déconcerter les spectateurs les plus terre-à-terre. Réalité est paradoxalement le film le plus barré et le plus cohérent du réalisateur, et son meilleur jusqu’à présent.
> Réalité, réalisé par Quentin Dupieux, France – Belgique, 2014 (1h27)