L’éternité, c’est long … surtout vers la fin. Traînant sa carcasse livide immortelle de siècle en siècle, Dracula (Nicolas Cage) en est bien conscient. Heureusement, il a sous son emprise Renfield (Nicholas Hoult), son assistant qui lui procure des proies et pourvoit à toutes ses requêtes, même les plus dégradantes.
Mais voilà, après des siècles de servitude, Renfield se sent enfin prêt à se détacher de cet horrible pervers narcissique buveur de sang. Pour cela, le fidèle assistant va pouvoir compter sur l’aide précieuse de Rebecca Quincy (Awkwafina), une vaillante policière qui se retrouve par hasard mêlée à ses déboires. Pour briser la dépendance mutuelle qui le lie au prince des Ténèbres, Renfield se lance dans une aventure sanglante où tous les crocs sont permis.
Farce contemporaine
Relecture décalée de l’héritage du célèbre comte des Carpates, Renfield s’inscrit dans la volonté de faire revivre à l’écran les mythiques « monstres Universal » dans une nouvelle approche. Même si le Dark Universe annoncé par Universal Pictures a officiellement été abandonné dans sa forme initiale d’univers étendu, le studio ne compte pas laisser ses monstres prendre leur retraite. Ainsi l’homme invisible a fait une réapparition remarquée dans Invisible Man (2020), thriller très efficace porté par Elisabeth Moss, se battant anxieusement contre l’imperceptible.
Pour Dracula, personnage mythique maintes fois évoqué au cinéma, c’est l’angle comique et grotesquement gore qui a été préféré. Un choix probablement en partie dicté par la mauvaise réception du très sérieux Dracula Untold (2014). L’idée originale et résolument moderne d’évoquer la relation entre Dracula et Renfield à travers les yeux du second est celle de Robert Kirkman, co-créateur de la BD The Walking Dead et coproducteur du film.
Le scénario est signé Ryan Ridley, notamment connu pour sa participation à la géniale série animée Rick et Morty. Derrière la caméra, Chris McKay a une petite expérience des films décalés flirtant avant la limite du méta. Il a en effet réalisé le jouissif Lego Batman, le film (2017) et produit La Grande Aventure Lego 2 (2019) – lire notre critique. Bref, sur le papier, le casting semble parfait pour offrir un film à la fois sanglant et marrant.
Entre deux
Pour ce retour à l’écran du célèbre comte hématophage, Renfield met en avant, jusque dans son titre, le laquais soumis à Dracula. Alors qu’il est normalement condamné à être enfermé dans un asile, Robert Montague Renfield est ici un personnage principal et en liberté, du moins physiquement. Ce parti pris éclipse tous les autres protagonistes habituels du roman de Bram Stoker, y compris Jonathan Harker qui est habituellement celui qui est le lien direct entre le terrifiant vampire et le lecteur ou spectateur.
En recentrant l’intrigue sur la relation ambiguë entre Dracula et son serviteur, Renfield va à l’essentiel pour connecter son histoire à la modernité. Le jeune assistant se retrouve ainsi impliqué dans une histoire de gang mafieux venant se greffer à son espoir de libération. Flirtant constamment avec la parodie, le film de Chris McKay prend un malin plaisir à détourner les attendus du mythe vampirique.
Tandis que la voix off de Renfield sert de fil rouge à l’intrigue en mettant en avant la thématique d’une dépendance toxique, la comédie joue avec la représentation du vampire dans l’imaginaire collectif. Ainsi le film débute avec une séquence en noir et blanc où les acteurs rejouent des scènes du Dracula (1931) de Tod Browning avec Bela Lugosi. Un clin d’œil mimétique qui permet de résumer l’intrigue tout en assumant l’aspect décalé voire parodique du récit par rapport à l’œuvre originale.
Toxic
L’angle de la relation toxique entre Dracula et son serviteur est la bonne idée de cette comédie qui démystifie cette relation d’envoûtement en la modernisant. Dans un monde post #MeToo où chaque relation – professionnelle, privée ou publique – est scrutée à l’aune d’un éventuel abus, la référence fait mouche. Un insecte parmi d’autres que Renfield ingère d’ailleurs comme dans l’œuvre d’origine. Un régime peu ragoûtant qui lui donne ici une force surhumaine.
Débarrassée en partie de son mystère, la relation toxique entre Dracula et Renfield est analysée à travers un regard moderne et thérapeutique. Libre au spectateur de l’appliquer à un(e) ex ou à son patron. Elle trouve son apogée dans le groupe de parole auquel participe Renfield du type les « soumis anonymes ». Une présence pour le moins ambiguë qui lui permet de tenter de se défaire de l’emprise de son maître tout en lui trouvant des proies à rapporter. Car, après tout, s’il faut sacrifier des êtres humains, autant faire passer en priorité les bourreaux qui font souffrir ses alter egos victimes. Une logique assez torturée que Dexter approuverait certainement.
Nicolas : crocs avec les doigts
Surfant à la fois sur cette thématique de l’emprise toxique et le détournement des codes du mythe de Dracula, Renfield est parsemé de répliques assez malines et amusantes. Cependant le rythme reste malheureusement assez bancal et le ton indécis. Souvent en équilibre entre le décalage et la parodie, la comédie de Chris McKay peine à convaincre totalement. Si le périple est plaisant, toutes les scènes ne sont pas forcément à la hauteur de l’attente.
Ce manque d’homogénéité se révèle particulièrement lors des scènes avec Nicolas Cage. Parfait narcissique aussi pervers que dangereux, l’acteur a tendance – à son corps défendant – à vampiriser le film. L’incarnation du comte par Cage, en équilibre entre angoisse et outrance, est particulièrement saisissante au point de faire retomber l’intérêt dès qu’il disparaît dans une volée de chauves-souris. L’acteur de Pig (2021) – lire notre critique – démontre ici une nouvelle fois son grand talent éclipsé parfois par un choix de films étonnants.
Farce moderne centrant le mythe de Dracula sur la relation toxique entre le maître et son soumis, Renfield est porté par Nicolas Cage en vampire narcissique dont l’interprétation aurait mérité un cercueil plus luxueux.
> Renfield, réalisé par Chris McKay, États-Unis, 2023 (1h33)