La "salle de shoot" existe depuis déjà longtemps dans le quartier, ce sont les toilettes publiques en face de l’hôpital Lariboisière selon Stéphane Bribard, conseiller à la mairie du 10è arrondissement chargé de la jeunesse et de la prévention. « La réponse sécuritaire, n’est pas la bonne. On l’a vu ces dix dernières années. La réponse doit être celle de la santé publique. Les intrusions dans la gare SNCF, dans les toilettes publiques rue Ambroise Paré, dans les halls d’immeubles… C’est une réalité depuis des années. La salle de shoot doit justement soulager les habitants, qu’ils n’aient plus à subir ça sur un espace public ou privé. Beaucoup d’habitants veulent tenter le coup », insiste-t-il. Ce quartier, les toxicomanes y sont traditionnellement présents depuis des années. Ici, le distributeur de seringues est l’un des plus actifs de France.
Loin de la foire d’empoigne de la réunion publique qui s’est tenue mardi 13 juin, nous avons voulu comprendre les arguments en faveur et contre cette salle de consommation à moindre risque qui devrait ouvrir à l’automne 2013. A la suite de cette réunion, Elisabeth Carteron, présidente de l’association Action Barbès regrette : « Les opposants sont plus virulents et font forcément plus de bruit que nous. Nous sommes pourtant nombreux dans le quartier à soutenir cette initiative. » Il y a aussi ceux qui sont contre, avec pour chef de file l’association Vivre Gares du Nord et Est. Et puis les autres, ceux qui s’en foutent.
Le choix du 39, boulevard de la Chapelle
Le site choisi pour accueillir l’expérimentation d’une première salle de consommation à moindre risque en France est au 39, boulevard de la Chapelle et appartient à la SNCF. Il se trouve au-delà de la gare de bus, derrière la gare du Nord. « Une salle de consommation, par principe, doit se trouver à proximité du public auquel elle s’adresse : des toxicomanes en grande précarité et depuis très longtemps loin des milieux médico-sociaux traditionnels », indique Elisabeth Carteron.
Pierre Coulogner, président de l’association Vivre Gares du Nord et de l'Est, affirme que son association n’est pas contre l’ouverture de cette salle de consommation. Mais pour lui, celle-ci est beaucoup trop près des habitations. Nous nous sommes rendus sur les lieux. Le site choisi est bordé d’un côté par les voies de chemin de fer, de l’autre par des immeubles d’habitation. Toutefois, il se trouve derrière ces immeubles et l’accès à la salle est assez éloigné de l’entrée des immeubles qui la surplombe. Il s’agit pour l’instant d’un préfabriqué qui n’est effectivement pas un lieu de passage du public.
Vers une plus grande tranquillité des riverains ?
« Nous côtoyons les toxicomanes tous les jours, ils sont là, commente Elisabeth Carteron. Ils s’échangent des cachets. On ne peut pas passer à côté en les ignorant. L’ouverture d’une salle de consommation participe à la tranquillité des habitants du quartier : pas de seringues dans les halls et plus de sécurité dans les immeubles. » Depuis longtemps, l’association Barbès soutient l’ouverture d’une salle de consommation dans son quartier. Pour elle, c’est certain, c’est la solution pour que les toxicomanes ne squattent plus les rez-de-chaussée des immeubles.
Pierre Coulogner, quant à lui, voit déjà les dealers de la gare du Nord converger vers le 39, boulevard de la Chapelle pour trouver de nouveaux clients, ceux qui fréquentent la salle de shoot. « Le site va devenir un point de convergence des dealers et des drogués. Tout ça, à proximité des habitations. Et il y a beaucoup de familles dans notre quartier. Les dealers vont se promener partout et pourquoi pas initier des jeunes déjà fragiles ? »
Pierre Coulogner souligne l’absence de réponses précises de la mairie concernant la sécurité du quartier : « Quel effectif policier en plus ? »
Stéphane Bribard insiste : « Les grands trafics sont gare du Nord, là où arrivent les Thalys. Le trafic qui a lieu dans le quartier, c’est un trafic de survie, on deale des médicaments. » L’incitation à tenter l’expérience auprès des jeunes ? Pur fantasme selon lui, même s’il précise que la prévention est déjà présente dans les collèges et les lycées du quartier. Mais oui, une présence policière accrue est d’ores et déjà prévue. « On a demandé le retour d’une police de proximité, fidèle au quartier, qui connaisse les problématiques. Le préfet de police a annoncé qu’il avait accepté le principe de renforcement d’une présence policière dans le secteur, avec une équipe qui sera fidèle sur le secteur. » Mais pour l’instant, aucun chiffre précis ne peut être avancé. On en n'est pas encore là.
Venir en aide aux toxicomanes
Si la présidente d’Action Barbès croit que la salle de consommation tranquillisera le quartier, elle évoque également la prise en charge des toxicomanes qui sont ses voisins. « Nous défendons aussi l’ouverture de la salle de consommation pour que certains de ces toxicomanes puissent être redirigés vers un parcours de soin et pourquoi pas vers la réinsertion ? »
Un vœu pieu ? Alors que l’association Vivre gares du Nord et Est dénonce « l’absence d’une politique globale autour de cette salle de consommation et d’un véritable encadrement médico-social des toxicomanes. Ce n’est pas normal que seuls des travailleurs sociaux, des infirmières et un vigile soient affectés à la gestion de cette salle ! »
Soit l’information ne passe pas, soit certains détracteurs sont de mauvaise foi, soit la mairie ment. Stéphane Bribard l’affirme : « Dans l’idéal, une dizaine de salariés y travaillera, dont des médecins et des psychiatres. » "Dans l’idéal", c’est peut-être le hic. Pour l’instant, le budget annuel alloué à la salle de consommation n’est toujours pas fixé. Stéphane Bribard estime entre 500.000 et 1 million d’euros par an la somme nécessaire au bon fonctionnement de la salle. Sacrée fourchette ! De ce budget dépendra la qualité de la prise en charge des toxicomanes. Mais l’élu de la mairie du 10è est formel : « La démarche est d’essayer de toucher un public très désocialisé qui n’accepte pas ou ne s’intègre pas dans les dispositifs tels qu’ils existent. Ici, on essaiera de trouver un moyen de reprendre un contact constructif avec ces gens par l’intermédiaire de leur consommation de drogue, des gens exclus du système global. Alors, on pourra tenter de les intégrer dans un processus qui pourrait les amener aux soins. » Alors que l’association Vivre gare du Nord ne comprend pas pourquoi la salle ne fournit pas des substituts mais permet aux toxicomanes de consommer leur propre drogue, cette drogue est justement le lien entre l’équipe salariée et le toxicomane. Là encore, l’information est-elle suffisante ? La fonction d’une salle de shoot et le public auxquel elle s’adresse ne sont finalement pas compris. Ou pas accepté. La pédagogie peut-elle venir à bout de cette ignorance ?
Les riverains se déchirent, alors que pour convaincre, mardi dernier, la mairie avait sorti l’artillerie lourde. Elle avait fait venir les représentants de la salle de Shoot genevoise Quai 9 et le commissaire du quartier où elle est installée. Tous sont satisfaits de cette salle. Mais non rien à faire. Elisabeth Carteron regrette : « quand les gens ne veulent pas entendre… »
> "A quoi sert une salle de shoot ?", interview du Dr Jean-François Corty, directeur de mission France de Médecins du Monde, publié sur Citazine le 21 septembre dernier.