Le Brésil n’est pas un pays classe moyenne, du coup celui qui n’est pas riche, a pas mal de chance d’être pauvre. Lapalissade étalée, un retour en arrière s’impose. Fin XIXème, des esclaves affranchis viennent rôder du coté de Rio. Comme souvent et comme partout, les nouveaux arrivants en guenilles ne sont pas les bienvenus. On leur pointe alors du doigt une colline abrupte recouverte d’une forêt dense, bref, un endroit potentiellement très inconstructible. Trop contents d’être libres, les affranchis timbrés ne se démontent pas et relèvent un défi qui ressemblait davantage à un « Dégagez ! » qu’à un « Même pas cap’ ! ». Elagage, érection de murs en terre, bâchage en plastique, le premier bidonville de Rio est né.
Le règne des gangs
Aujourd’hui la favela a grandi, la forêt et ses bestioles venimeuses laissant place intégralement à des baraquements plus ou moins solides montés cahin-caha sur des pentes auxquelles le plus dopé des cyclistes n’oserait pas s’attaquer. Le béton et la brique ont remplacé la terre, la tôle ondulée les bâches et des réseaux d’eau et d’électricité ont été installés. Mais même au sein d’une favela des clivages existent.
Ainsi, la colline de Rocinha s’apparente à une échelle sociale inversée. Au sommet, les plus pauvres s’entassent dans les parties les moins accueillantes et les plus exposées aux glissements de terrain. En bas, les familles implantées depuis plusieurs générations jouissent de conditions plus favorables et squattent des maisons qui, au fil des ans et à force de constructions d’étages supplémentaires, sont devenus de véritables immeubles.
Le quartier possède ses commerces, ses écoles, ses églises, une chaine de télé, des centres de santé, trois journaux locaux, une académie de samba et des dealers, beaucoup de dealers, beaucoup, beaucoup de dealers. Plus de 250 gus selon certaines sources, parfois très lourdement armés puisque des AT-4, lances roquettes utilisés en Afghanistan, circuleraient dans le quartier. Les gangs se taquinent à coups de règlements de compte et de bastos entre les deux yeux.
Les policiers opportunistes et vaguement attachés à la vie se contentent bien souvent de se laisser glisser quelques biftons dans la poche. La moitié des revenus, pourtant conséquents, du principal caïd de la colline aurait ainsi servi à corrompre les forces de l’ordre. Un investissement qui a gangréné pendant des années la lutte contre la criminalité dans cette favela. Jusqu’en novembre de l’année dernière pour être précis.
Un quartier presque comme les autres
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 2011, de la flicaille moins ripoue qu’à l’accoutumée laisse parler son pif et ordonne d’ouvrir le coffre d’une voiture. Dedans, Antonio Francisco Bomfim Lopes, plus connu sous le nom de Nem, alias le plus gros trafiquant de drogue de Rocinha. Ni une, ni deux, le dimanche de la même semaine, une opération d’envergure jusqu’ici inégalée au Brésil est lancée. Son nom : Choc de paix.
4h du mat’, quand tout le monde dort encore, les blindés prêtés par la marine progressent, tout comme les 2000 policiers, les hélicos et les excités du Bope, la brigade anti-gang, le bataillon des opérations spéciales de police. Nombre de morts : 0. Zone pacifiquement pacifiée : 1. Policiers corrompus devant trouver une nouvelle façon d’arrondir leurs fins de mois : pléthore.
Depuis cette intervention, des unités de police pacificatrice (UPP), l’équivalent de notre police de proximité, ont été placées sur la colline et certains services publics s’implantent sans claquer des dents. Ainsi, les postiers peuvent désormais y distribuer le courrier sans crainte mais pas sans peine, les rues n’ayant souvent ni nom, ni numéro. Mais le facteur n’est encore que le symbole d’une réussite symbolique. Car, si les délégations sportives ayant prévus de faire le déplacement en 2014 à l’occasion de la coupe du monde de football et en 2016 pour celle des J.O. doivent être rassurées, la favela de Rocinha demeure un endroit sensible.
Les problèmes de drogue n’ont pas disparus, la pauvreté est toujours réelle et, de fait, l’insécurité persiste. Une situation qui devrait continuer de faire les affaires de Marcelo Armstrong, le fondateur du Favela tour, qui propose à l’occidental en mal de frissons son petit tour de bidonville. Paraît même que ce concept de businessman porte un nom : le tourisme social…