Il a été dix ans dans un groupe, collectionne les vinyles, donne des conférences sur le rock et est le fondateur de l’association Les Arts du Rock. Et aujourd’hui, il publie un livre, Rock Poster Art, aux éditions Eyrolles. Alors quand Didier Maiffreddy dit, au détour d’une phrase, « le rock, c’est toute ma vie », on ne le met pas en doute. Ce livre rend hommage aux sérigraphies, un art dont il retrace l’histoire, explore ses acteurs, dévoile son incroyable éclectisme. Un « projet prométhéen » assure-t-il, car il s’agit d’une terra incognita. Si ce n’est le livre L’Art du rock (Panama), de Paul Grushkin et Dennis King. « Un livre d’image, alors que je l’attendais depuis si longtemps. Ca m’a tué », lance-t-il, visiblement déçu.
Son amour pour cet art du rock germe en 1998, aux débuts du net. En bon fan de rock, il pianote à la recherche d’affiches psychédéliques et tombe sur bien d’autres sérigraphies. « J’ai eu un coup de foudre absolu pour ces objets d’art dès que j’en ai reçu une à la maison, se rappelle-t-il. Quand j’ai vu tout ce qui se créait, je me suis dit, basta la nostalgie ! ». Son livre –une véritable bible- minutieusement documentée, débute donc dans les années 90 jusqu’à l’époque actuelle, avec des sérigraphies de Kakkmaddafakka, des Black Keys, the Flaming Lips…
Un art en pleine effervescence
Un découpage qui ne doit rien au hasard. La sérigraphie, pratique d’imprimerie qui place un pochoir entre l’encre et le papier, est très populaire dans les années 60 : les affiches se parent de couleurs toute LSDiennes sous la houlette de la scène psychédélique californienne. Quand le mouvement s’éteint, le punk prend le relai avec ses flyers en noir et blanc, bonheur de simplicité graphique à la sauce Xerox. C’est à la fin des années 80, avec l’émergence du grunge du métal et du hardcore, que la technique sérigraphique est réintroduite. Les ventes de disque baissent, le 33 tours, et sa tradition d’art de la pochette, se meurt. Il y a comme un vide. « Beaucoup pensent que les fans ont besoin de matérialité, d’objets, de supports vocationnels », souligne Didier Maiffredy.
Un homme intervient, Frank Kozik, artiste graphique à l’origine du label Man’s Ruin Record, auquel l’auteur consacre tout un chapitre. « C’était une manière de faire un gigantesque bras d’honneur au système. Une attitude punk ni plus ni moins. En 91, il a réintroduit la sérigraphie de manière massive en disant : « je veux faire les plus beaux posters pour les plus petits groupes et je dis merde au système » ». En résulte une production subversive, foisonnante et radicalement DIY dont on peut voir un aperçu ici. Toute cette scène a pris un élan exponentiel jusqu’au boom des années 2000. Il n’y a pas une once de nostalgie dans le livre comme dans les propos de Didier Maiffreddy, qui s’exalte pour la liberté totale des artistes aujourd’hui. Surtout aux Etats-Unis. « En France ça démarre, il y a des petits jeunes de 25, 30 ans qui font de la sérigraphie comme ils peuvent mais c’est difficile. Dans le champ spécifique du rock, c’est embryonnaire ».
De l’art éphémère à un objet de fétichisme
« Très vite, les collectionneurs s’en sont emparés comme des objets de fétichisme », explique l’auteur. Etrange art que cet art supposé éphémère et pourtant immédiatement pérenne.
« Que sont ces objets ? », s’interroge-t-on avec l’ancien professeur de philosophie. « Tout le livre est un long plaidoyer pour faire comprendre que ce ne sont pas des affiches. Elles n’en ont ni le côté cheap ni même, et surtout, la fonction. Car cela fait bien longtemps qu’elles ont perdu leur fonction informative et qu’elles sont sorties de l’espace public. Ce sont des objets de l’art qui sont tirés en sérigraphie, patiemment numérotées, signées, un vrai travail artisanal de création pure. Des artistes dans l’underground passent des heures et des heures à créer des objets pour des groupes totalement inconnus », souligne-t-il. Un art profondément populaire, underground, prolifique. Du merchandising de luxe, mais accessible à tous.
Un art méconnu voire méprisé
Pourtant, inconnue, ignorée, voire méprisée, la sérigraphie rock est passée sous silence. « Dès qu’on parle de merchandising, c’est disqualifiant, dès qu’on parle de sérigraphie, on l’aborde sous l’angle industriel. Et puis on est en France, alors dès qu’on parle de massification, de multiple, on n’aime pas. Pour l’intelligentsia, il n’y a que l’œuvre unique », soupire le passionné.
Son labeur se concentre sur une mission : donner une légitimité, un statut à la sérigraphie rock, « probablement le plus grand mouvement artistique organisé dans le monde avec le street art ». Qui connaît Kozik ? Ou Rob Jones -à qui l’on doit les sérigraphies de Jack White- ou bien Emek ou Lindsey Kuhn ? C’est peut-être en allant à la Bellevilloise, où sont affichées des dizaines de sérigraphies à l’occasion de la sortie du livre, que l’on se rend compte de l’ampleur et de la diversité de cet art. A la beauté graphique se mêle l’histoire du rock, avec toujours, pour l’afficionado, l’émotion. « Le miracle fondamental du rock, c’est d’arriver à substituer une réalité au réel. La vraie vie s’efface et laisse place à l’univers complètement émotionnel, fantasmé, mythologique du rock. » Pour ceux qui veulent s’y plonger un peu plus, on vous conseille de jeter un œil à Rock Poster Art.