« Rocketman », sous les paillettes, Reggie

« Rocketman », sous les paillettes, Reggie

« Rocketman », sous les paillettes, Reggie

« Rocketman », sous les paillettes, Reggie

Au cinéma le 29 mai 2019

Focalisé sur son irrésistible ascension vers le succès, le biopic consacré à Elton John retrace le parcours étonnant et chaotique de Reginald Dwight, jeune pianiste prodige mais timide, métamorphosé en superstar mondiale extravagante. Comédie musicale flamboyante, Rocketman joue brillamment la carte de l'incarnation et lève le voile sur l'éternel garçon insatisfait planqué derrière les costumes chatoyants de la bête de scène.

Enfant timide et complexé par son physique rondouillard, le jeune Reginald Dwight (Matthew Illesley / Kit Connor) montre une prédisposition surprenante pour le piano. Le jeune prodige autodidacte qui reproduit automatiquement sur le clavier familial les mélodies qu’il entend n’a que onze ans lorsqu’il décroche un prix de la Royal Academy of Music. La musique devient alors essentielle pour le jeune garçon : elle lui permet d’échapper à la relation conflictuelle qu’il entretient avec sa mère (Bryce Dallas Howard) et d’occulter le départ de son père, pilote de la Royal Air Force peu affectueux et souvent absent, qui s’envole définitivement du domicile familial l’année de ses 15 ans.

Engagé comme claviériste dans un groupe au début des années 60, Reginald Dwight (Taron Egerton) adopte le nom de scène d’Elton John sous lequel il deviendra une des figures mondiales de la pop. En juin 1967, son destin bascule lorsqu’il répond à une annonce du journal musical londonien New Musical Express. Le hasard le met sur la route de Bernie Taupin (Jamie Bell) qui deviendra le parolier de ses chansons et son ami le plus fidèle, véritable repère dans le tourbillon de la célébrité dont les excès menacent le jeune chanteur.

Rocketman © David Appleby - 2018 PARAMOUNT PICTURES. ALL RIGHTS RESERVED.

De l’audace !

Difficile de ne pas penser au récent Bohemian Rhapsody (2018) — lire notre chronique — avant de plonger dans ce biopic sur Elton John qui a mis une décennie à se concrétiser. Si Bryan Singer est le seul réalisateur crédité au générique du film consacré à Queen, Dexter Fletcher a récupéré le projet en cours de route après le départ de Singer et a essayé d’en faire une œuvre qui tient la route. Avec un résultat en demi-teinte qui laissait craindre une déception pour ce nouveau projet. Mais, cette fois-ci, le pari est clairement réussi.

Ce qui différencie le film du réalisateur de Eddie the Eagle (2015) des autres biopics est sa forme audacieuse. En choisissant la comédie musicale, Rocketman ne cherche pas à singer son sujet — exit le concours de sosies — et assume une totale liberté dans l’évocation des événements. Ce parti pris libère le réalisateur qui évite ainsi les éventuelles critiques des fans et des spécialistes sur les erreurs factuelles tout en plongeant le biopic dans une zone grise, entre fantasme et réalité. Le film rejoue la transformation de Reginald en Elton et l’assume totalement, au point de proposer de nouvelles versions des tubes de l’artiste qui a donné sa bénédiction au projet.

Rocketman © David Appleby - 2018 PARAMOUNT PICTURES. ALL RIGHTS RESERVED.

Your (Cover) Song

Paradoxalement, à part sur le titre inédit (I’m Gonna) Love Me Again où il chante avec Taron Egerton, on n’entend jamais la voix d’Elton John dans le biopic qui lui est consacré. Toutes les chansons de la bande originale — reprenant certains des plus grands tubes du chanteur savamment réorchestrés pour l’occasion — sont interprétées par les acteurs, à commencer évidemment par Taron Egerton qui livre une prestation remarquable dans la peau de l’extravagant chanteur. Il faut dire que l’acteur est familier avec l’œuvre d’Elton John : il a interprété Your Song pour son audition à la Royal Academy of Dramatic Arts et I’m Still Standing en tant que Johnny, le gorille aspirant chanteur, dans le sympathique film d’animation Tous en scène (2016).

En incarnant Elton John sans avoir la pression d’être son sosie dans les moindres détails, l’acteur livre une prestation sincère et particulièrement touchante. Les chansons d’Elton John sont utilisées pour illustrer les différents moments de sa vie sans forcément respecter la chronologie de leur sortie. Là encore, Dexter Fletcher s’affranchit du poids souvent trop lourd à porter du biopic qui se veut trop réaliste. Certains titres sont presque en intégralité, d’autres plus discrets alors que parfois seulement quelques notes de la mélodie suffisent pour accompagner une scène. Le travail d’adaptation musical est particulièrement réussi et offre une belle cohérence à l’ensemble.

Autre exemple de l’esprit de liberté qui plane sur le film, la séquence où le jeune Reggie s’imagine conduire, du fond de son lit, un orchestre interprétant une chanson qu’il composera bien plus tard. Le traitement sous forme de comédie musicale bouscule et interroge l’obsession de la reproduction fidèle qui est devenue la norme dans les films du genre. Au-delà de la prouesse technique, que vient vraiment apporter la copie dans sa quasi intégralité du concert de Wembley dans Bohemian Rhapsody, par exemple ? Les titres du chanteur se prêtent parfaitement à l’exercice de la comédie musicale. Leur appropriation qui semble si naturelle dans le film ne fait que révéler leur puissance et le génie mélodique du compositeur, au point de potentiellement surprendre agréablement des spectateurs pas forcément fans du chanteur a priori.

Rocketman © David Appleby - 2018 PARAMOUNT PICTURES. ALL RIGHTS RESERVED.

Goodbye Yellow Brick Road

Déguisé en diable à paillettes affublé de plumes extravagantes, Elton John — alors en pleine ascension — fait une arrivée fracassante au centre de désintoxication peu de temps après avoir frôlé la mort. Il rejoint le cercle de ses confrères et avoue d’un bloc être accro à la cocaïne, à l’alcool, au sexe et à la bouffe. Le biopic débute avec cette séance de thérapie collective qui sert de fil rouge tout au long du film : Elton John se dévoile — littéralement — en quittant son costume pour mieux retrouver Reginald Dwight. Les événements sont racontés par cet artiste en pleine gloire mais totalement perdu avec les approximations et exagérations potentielles que cela implique.

Une nouvelle fois, Rocketman ne cherche pas une vérité mais un ressenti et ça sera celui d’un jeune garçon en quête d’amour devenu une star. En débutant sa cure de désintoxication, Elton John cherche à échapper à cette « Yellow Brick Road » symbolisant la célébrité et ses excès en tout genre le menant à une mort certaine. Mais il doit pour cela être honnête avec lui même. Ainsi défile, comme dans un film, la vie de Reginald Dwight : de son enfance complexée au succès en passant par sa relation tumultueuse avec son manager et amant John Reid (Richard Madden) et sa rencontre avec Bernie Taupin, ami et partenaire artistique indispensable.

Fruit du hasard, la rencontre entre le compositeur John et le parolier Taupin interroge sur le facteur chance dans une carrière. Que seraient-ils devenus, chacun dans leur coin, si leurs destins ne s’étaient pas croisés ? Une question d’autant plus fascinante qu’elle n’aura évidemment jamais de réponse. Les affres de la célébrité, la trahison d’un proche, une amitié qui résiste aux épreuves… Rocketman sublime ces thématiques avec des tubes habilement sélectionnées mais réussit surtout dans l’exploration des fêlures d’un jeune garçon.

Rocketman © David Appleby - 2018 PARAMOUNT PICTURES. ALL RIGHTS RESERVED.

Sorry Seems To Be The Hardest Word

La frénésie du spectacle ne dure qu’en temps et le chanteur semble être inlassablement ramené vers le jeune garçon qu’il était. Les atermoiements du chanteur avant de s’assumer pleinement homosexuel sont évoqués mais la thématique de l’identité sexuelle n’est pas le véritable sujet. La quête d’amour contrariée du chanteur prend racine dans son enfance. Caché derrière les lunettes extravagantes d’Elton John, le timide Reggie attend une marque d’affection dont l’absence continue à le faire souffrir. Bien sûr, la star expérimente la gloire et jouit de la reconnaissance du public. Elton John y puise de l’énergie qui permet de tenir au jour le jour mais cela ne comble pas le vide affectif de l’enfant qu’il a été.

Cette quête d’amour rend son histoire particulièrement attachante car elle est universelle. Anesthésié par l’alcool, la drogue, le sexe, la nourriture — voire tout à la fois pour le chanteur —, le déficit affectif n’en reste pas moins présent et les excès de la star ne sont que ses conséquences. En poussant la porte d’un centre de désintoxication au début des années 90, la star a compris qu’elle ne pouvait continuer à fuir et devait affronter les angoisses de Reggie, celui qui lui fait face dans le miroir lorsque Elton John retire ses lunettes après le concert. Derrière l’aspect clinquant des paillettes et des chaussures à semelles compensées, Rocketman invite à l’introspection et à une certaine résilience : accepter le manque, faire le deuil du mot « désolé » et constater qu’on est — malgré tout — toujours debout. Puis aller de l’avant.

Comédie musicale oscillant entre euphorie et tragédie, Rocketman est un biopic à l’originalité rafraîchissante qui dévoile habilement Reginald Dwight à travers les chansons d’Elton John. Résolument fantasque, ce portrait intime mené tambour battant possède tous les atouts pour charmer un public large, au-delà des fans du chanteur.

> Rocketman, réalisé par Dexter Fletcher, Royaume-Uni – États-Unis, 2019 (2h01)

Rocketman

Date de sortie
29 mai 2019
Durée
2h01
Réalisé par
Dexter Fletcher
Avec
Taron Egerton, Bryce Dallas Howard, Jamie Bell, Richard Madden, Matthew Illesley, Kit Connor
Pays
Royaume-Uni - États-Unis