Très préoccupés par la crise climatique, un collectif de huit jeunes éco-anxieux décident de prendre les choses en main de façon radicale. Leur mission périlleuse : saboter un oléoduc qui achemine du pétrole dans tous les États-Unis. Une action désespérée sous le signe de la résistance pour laquelle ils sont prêts à tout sacrifier.
De la théorie à la fiction
Réalisateur de l’étrange Cam (2018) dans lequel une cam girl se fait voler son identité numérique, Daniel Goldhaber a trouvé l’inspiration pour son nouveau projet dans une source étonnante. Sur le conseil de Jordan Sjol, co-scénariste et universitaire spécialisé en économie, il s’est plongé dans la lecture de Comment saboter un pipeline ? d’Andreas Malm.
Comme un défi, le cinéaste a décidé de transformer ce manifeste militant en récit de fiction pour le cinéma. Fort de cette idée, Daniel Goldhaber et ses partenaires se sont alors incrustés dans des fêtes au festival de Cannes pour rencontrer d’éventuels financeurs du projet. Le budget a finalement été bouclé grâce à l’argent gagné avec un jeu vidéo conçu par le réalisateur.
Pour donner corps à cet essai théorique, Sabotage met en scène huit jeunes américains qui ont tous une bonne raison de vouloir dynamiter le système actuel. Touchés de façon plus ou moins intime par l’effondrement actuel du vivant (humains compris), ils sont réunis par la même idée d’un passage à l’acte radical devenu selon eux indispensable.
Western moderne
En équilibre entre le thriller et le militantisme politique, Sabotage trouve un ton juste qui ne sacrifie pas le divertissement à la théorie activiste dont il est issu. Le transport de pétrole est ici le symbole d’un système capitaliste empoisonnant les citoyens et la planète pour un profit immédiat se souciant aucunement du lendemain.
L’incarnation de cette angoisse à travers plusieurs trajectoires de vie reflète le sentiment d’anxiété qui mène à la radicalité, faute de solutions pacifiques. Construit avec la logique d’un film de braquage, Sabotage s’inscrit également dans la thématique du western avec ce groupe d’activistes qui prend les armes pour défendre leurs proches et, de façon plus globale, le bien commun.
Les deux genres s’entremêlent pour offrir un thriller écolo sur le fil. Sabotage qui joue ainsi sur la dangerosité du projet, notamment la fabrication d’explosifs artisanaux, qui assure un suspense prenant. Autant de risques qui font écho à l’aspect plus politique du film : la détermination à toute épreuve des jeunes militants prêts à se sacrifier pour la cause.
Hautes tensions
Cette tension est également maintenue tout au long du film en interrogeant les motivations réelles de certains membres du collectif. De quoi maintenir le doute sur ce projet ambitieux qui ne se déroule pas sans accrocs. Car, bien qu’ils soient convaincus de la nécessité de frapper un grand coup pour marquer les esprits, les divergences ne sont pas absentes. L’inévitable question du curseur dans la violence pour arriver à ses fins est au cœur des débats.
Malgré ces moments de flottement, Sabotage impose le défi climatique comme un combat qui devrait rassembler tout le monde, quelles que soient les différences de milieu social ou économique. Sur ce point, Daniel Goldhaber assume pleinement son film comme un contrepoint au discours de médias conservateurs qui en font un sujet polémique en usant si besoin de la désinformation.
Le personnage de Dwayne (Jake Weary), plus âgé que les autres membres du groupe, renforce cette idée. Père de famille, il a plus à perdre que les autres dans cette aventure très risquée. Son positionnement politique que l’on devine plutôt conservateur veut montrer qu’un front uni est possible au sujet des conséquences désastreuses du dérèglement climatique.
Propagande ?
Finalement, que reste-t-il dans Sabotage du manifeste théorique initial ? Daniel Goldhaber signe-t-il un film de propagande déguisé en thriller efficace ? Cette mission explosive rappelle celle au cœur de Night Moves (2013) de Kelly Reichardt même si les deux cinéastes ont une approche bien différente du sujet.
Daniel Goldhaber assume totalement d’user des ficelles du divertissement grand public pour mettre en avant la radicalité portée par le film. Une façon selon lui de contrebalancer le discours dominant des grandes productions hollywoodiennes. Et si les huit activistes se posent des questions sur les conséquences de leurs actions, notamment l’impact sur leurs concitoyens les plus pauvres, ils restent persuadés que leur action est nécessaire.
Le cinéaste revendique cette détermination et sa volonté de monter l’aboutissement d’une action que certains définissent aisément de terroriste (coucou Gérald !). Sur ce plan, Daniel Goldhaber signe un film, si ce n’est de propagande, très engagé. Au-delà de la compréhension bienveillante, il plane une sorte d’admiration de la part du cinéaste pour sa bande de saboteurs en herbe.
Irresponsabilité collective
Avec ses personnages attachants, Sabotage offre une solution aussi radicale que simpliste à la lutte contre le dérèglement climatique. Pour tout arranger, il suffirait de tout faire exploser ! Un choix qui acte le rejet du débat et l’absence d’une solution politique.
Le combat des jeunes activistes se situe ailleurs, dans une temporalité qui n’a plus le temps de discuter, où le compromis est exclu. Si l’explosion promise sert d’exutoire, elle écarte un peu vite la question de la responsabilité de chaque citoyen dans le désastre actuel. Comme si l’infrastructure détruite ne sera pas reconstruite pour les besoins d’une population qui ne veut pas changer de façon de vivre.
Car, malgré l’emballement climatique désormais indéniable, ce refus d’abandonner notre confort et nos habitudes reste fortement ancré dans l’opinion. Les électeurs par leur choix plébiscitent ce mode de vie entièrement basé sur l’exploitation de ressources en train de détruire lentement mais sûrement la nature, et nous avec. Ainsi 60 000 personnes sont mortes en Europe en 2022 à cause des canicules. Mais, depuis le coup de chaud meurtrier de 2005 en France, l’impensable est devenu la norme et n’est plus un sujet d’actualité.
Film de propagande invitant à la radicalité ou charge désespérée devant l’effondrement du vivant, Sabotage sera perçu selon le degré d’activisme – et de dépit – de chaque spectateur mais reste une juste expression d’une éco anxiété de plus en plus généralisée.
L’absence de la responsabilité personnelle dans l’équation dénote l’aspect vain et désespéré de cette mission explosive qui se heurte à l’impossibilité d’y faire face collectivement. Un sentiment d’impuissance tragique qui renforce cette envie de tout faire péter !
> Sabotage (How to Blow Up a Pipeline), réalisé par Daniel Goldhaber, États-Unis, 2022 (1h44)