« Sensibiliser aux réalités homosexuelles »

« Sensibiliser aux réalités homosexuelles »

« Sensibiliser aux réalités homosexuelles »

« Sensibiliser aux réalités homosexuelles »

27 mars 2012

Une enquête donnant la parole à la population gay et lesbienne, en France, permet de dresser le portrait d'une génération, de ses attentes, craintes et difficultés. De son envie d'une vie sociale normale aussi. Interview avec Michel Dorais, sociologue de la sexualité, qui a analysé l'étude.

D'après l'étude, le coming out est perçu comme un ensemble de décisions stratégiques. | Photo FlickR, CC, Guillaume Paumier

C’est la première étude d’envergure menée en France depuis 1984 et le « Rapport gai »[fn]Rapport gai : enquête sur les modes de vie homosexuels en France. Jean Cavailhès, Pierre Dutey, Gérard Bach-Ignasse, Gérard Bach. Editions Persona, 1984.[/fn]. Face au manque de données sur les demandes des gays et lesbiennes, Isabelle Chollet, psychologue au Refuge[fn]Le Refuge est la seule structure en France, conventionnée par l’Etat, à proposer un hébergement temporaire et un accompagnement social, médical et psychologique aux jeunes majeurs, filles et garçons, victimes d’homophobie. Elle est implantée à Montpellier, Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse et Saint-Denis de la Réunion.[/fn], association qui lutte contre l’homophobie, a décidé de concevoir un questionnaire en ligne. Pour dresser un portrait global des homosexuel(le)s en France, pour cerner leurs attentes et leurs difficultés dans la vie quotidienne.
Face aux très nombreuses réponses (plus de 500) et pour analyser les résultats, elle a décidé de faire appel à Michel Dorais, professeur et chercheur à l’Université Laval, à Québec (Canada), également sociologue de la sexualité et l’un des premiers parrains du Refuge. Cette étude a fait l’objet d’un livre, Être homo aujourd’hui en France (Editions H&O).
Quand les gays et lesbiennes ont la parole, ils racontent  leur envie d’être inclus socialement, de vivre normalement. Face aux nombreuses difficultés pointées par l’enquête, Michel Dorais préconise un véritable plan d’action, pour éduquer les jeunes et former les professionnels. Entretien.

Quels sont les principaux constats qui ressortent de cette consultation ?

Premièrement, les jeunes découvrent beaucoup plus tôt leur sexualité que leurs aînés. Dans le « Rapport gai » de 1984, les jeunes disaient avoir découvert leur homosexualité vers 16, 17 ou 18 ans. Aujourd’hui, c’est plus tôt, entre 12 et 15 ans. C’est une nouveauté. En presque trois décennies, les jeunes se découvrent homosexuels ou lesbiennes deux ou trois ans plus tôt. C’est une bonne et une mauvaise nouvelle à la fois parce que cette découverte de la sexualité se fait à un âge où ils n’ont pas forcément accès à de l’aide, à l’information. Dans les écoles, c’est encore le silence. Et à cet âge-là, il n’y a pas beaucoup d’associations pour les jeunes.
D’autre part, alors qu’ils se découvrent plus tôt, ils se révèlent plus tard à leurs proches. Auparavant, il se passait deux, trois ou quatre ans entre la découverte de soi et la révélation aux autres : aujourd’hui, c’est plutôt entre cinq et neuf ans ! La révélation aux parents a lieu, en moyenne, entre 20 et 22 ans, dans le Rapport gai, c’était à l’âge de 18-19 ans.

Comment expliquer ce changement ?

Le contexte économique joue probablement dans ce changement. De nombreux jeunes restent et resteront chez leurs parents plus longtemps : quand on n’a pas beaucoup d’argent ni de travail, on part moins aisément de chez soi. Or, les jeunes craignent les réactions des parents, cela peut expliquer ce silence et cette précaution de « prendre son temps » pour se révéler. On peut penser qu’il va encore y avoir, des anticipations négatives, des questionnements. On s’imagine que son père réagira mal, que la mère ne l’acceptera pas, que les grands-parents le déshériteront, etc.

Michel Dorais, professeur et chercheur à l'Université Laval, à Québec | Photo Editions H&O  

Cette étude met aussi en avant les difficultés rencontrées pour faire son coming out.

Ce fameux coming out, qui signifie un peu la libération de soi en révélant son homosexualité aux autres, beaucoup de jeunes nous disent que ce n’est pas ce qu’ils croyaient. Ce n’est pas quelque chose que l’on dit une fois pour toute et puis c’est fini, tu tournes la page. Le coming out, c’est un processus continu: il faut le dire à son père, puis sa mère, puis son frère, à sa tante, à des amis, à ses professeurs. Ses camarades de classe, ses collègues de travail, etc.
Le coming out, ce n’est pas comme dans la littérature – notamment nord-américaine – une libération qui se fait une fois pour toute. C’est réitératif, c’est sélectif aussi parce qu’on ne le dit pas à tout le monde. Le coming out, il faut le refaire à plusieurs reprises, pas au quotidien, mais presque. Si on est Lady Gaga ou Elton John, oui, on le fait une fois pour toute à la « une » des journaux.

Dans l’ouvrage, vous parlez de « risque calculé » à propos du coming out. C’est-à-dire ?

C’est pour toutes les raisons précédentes que les jeunes disent, le coming out, attention, ça peut être libérateur, mais c’est aussi un risque. Ca peut être opprimant si on est rejeté, délaissé par ses amis. C’est pour cela que c’est perçu comme un ensemble de décisions stratégiques, comme si le jeune se demandait, à chaque fois, quel est le risque qu’il court. De cette manière, les homosexuels sont très préparés avant leur coming out, d’où le mot « stratégie », utilisé par certains jeunes eux-mêmes.
La précarité économique actuelle fait que les jeunes ne veulent pas se retrouver à la rue. Et ça se comprend.

« Honte » et « peur » reviennent le plus souvent dans les témoignages

D’après l’enquête, le souhait de vivre en couple et de créer une famille avec ce partenaire est très prononcé.

C’est aussi une grande découverte. Le couple et la famille, le désir d’être en couple et en famille est très nettement exprimé. Chez les femmes, on voit que, depuis 25-30 ans, cela aurait doublé. Et ce désir d’avoir des enfants est très présent aussi chez les hommes. Tout cela m’a surpris. Je savais que ça existait puisque j’enseigne à des jeunes de cet âge-là, qui me tiennent ce genre de propos. Mais au Québec, cela fait presque dix ans que le mariage homosexuel et l’adoption sont reconnus et autorisés. Je constate que c’est de même chez les jeunes en France, alors même que le mariage et l’adoption ne sont pas encore adoptés.

D’après les messages laissés par les jeunes, que ressort-il de cette étude en ce qui concerne la reconnaissance du droit à l’égalité des couples homosexuels ?

Les jeunes, gays et lesbiennes, réclament ce droit. Ils veulent l’égalité avec les couples de sexe différent. C’est un message très fort, très marqué. En fait, ces jeunes revendiquent un peu le droit de vivre comme tout le monde. Ils veulent vraiment une « inclusivité » sociale, se sentir inclus dans la majorité d’êtres différents, mais pas plus que si c’était pour la couleur de peau ou la religion. Nous avons constaté de nombreux propos de jeunes qui n’en peuvent plus de supporter ces discriminations. « Honte » et « peur » sont les mots qui reviennent le plus souvent dans les témoignages. Ce n’est pas un hasard. Ils expliquent qu’ils ont honte et peur parce qu’on leur dit d’avoir honte et peur. On leur dit, « non, tu n’as pas droit aux mêmes institutions, aux mêmes protections ».
60 % des jeunes gays et lesbiennes qui ont répondu souhaitent avoir des enfants. Ils ont des projets de vie et donc réclament cette égalité, et ça, ce sera une pression énorme sur les politiques. On sent qu’ils n’attendront pas plusieurs générations.

L'étude du Refuge a fait l'objet d'un livre.  

L’homophobie apparaît à plusieurs reprises dans l’ouvrage. Est-elle encore très présente au quotidien pour ces jeunes ?

Oui. Il y a de nombreux récits d’horreur, de pratiques homophobes, de paroles très dures. Par exemple, je me souviens d’un jeune qui a témoigné et a expliqué que le dernier mot que lui avait dit sa mère, en le jetant à la porte, était « crève vite ». Forcément, cela marque les esprits.
Ceci dit, il y a aussi de belles histoires. Beaucoup de jeunes racontent qu’ils anticipaient le pire (« mon père me jette à la rue », « ma mère ne me parle plus jamais », etc.). Et pour certains, finalement, ça s’est bien passé. Ce n’est pas une enquête misérabiliste, il y a du positif comme du négatif.

Quelles sont les choses positives que vous notez ?

Le soutien du milieu gay et celui des associations. C’est important pour les jeunes qu’il y ait un milieu gay, autant celui dit « commercial » (bar, librairie, restaurant, salle de sport) qu’associatif, qui fasse preuve de solidarité. Ce sont des lieux où l’on peut sortir de sa solitude, où l’on peut rencontrer des gens. Cela est porteur de résilience, comme on dit en sociologie. C’est-à-dire de facultés de pouvoir s’en sortir par soi-même et d’avoir de l’espoir. Un soutien pour assumer son homosexualité.
Il faut noter qu’il y a toutefois quelques critiques à l’encontre de ce milieu gay et lesbien. Cette solidarité tant espérée et désirée n’est pas toujours au rendez-vous ou pas autant que les jeunes le souhaiteraient. Il y a une forte exigence et ils peuvent être déçus.

Affiche de campagne de sensibilisation du Refuge

Votre livre fait aussi clairement ressortir une demande d’aide de la part des jeunes homosexuels.

Cela fait aussi partie des constats majeurs que nous avons retenus. Le fait de pouvoir trouver de l’aide est très présent : les jeunes nous disent qu’ils auraient aimé avoir un professeur, une infirmière, un travailleur social, un éducateur, un médecin avec qui parler de leur homosexualité. C’est un gros manque. Non seulement ils recherchent une approche non discriminatoire, mais aussi une ouverture d’esprit. Les jeunes veulent être tolérés mais aussi inclus : qu’on parle d’eux à l’école quand on parle de couple, de la famille, de l’histoire des meurs. Or, aujourd’hui, ils se sentent exclus.
C’est la raison pour laquelle nous terminons l’ouvrage en faisant un appel pour davantage de sensibilisation, voire de formation, chez les professionnels qui travaillent avec les jeunes (profs, policiers, médecins, psychologues, éducateurs, etc.). Cela existe déjà au Québec, par exemple : depuis vingt ans, on a formé plus de 20 000 personnes, qui ont suivi une journée ou deux, parfois trois selon les besoins, pour se sensibiliser aux réalités homosexuelles, surtout chez les jeunes.

Si l’homosexualité ne concerne pas tous les jeunes, l’homophobie, elle, les concerne tous

Vous réclamez d’ailleurs un véritable plan d’action pour la France à ce sujet. Sous quelle forme ?

C’est la seconde étape de notre démarche : avec Isabelle Chollet, nous voulons réfléchir et créer une formation semblable à ce qui existe au Québec, pour aller dans les écoles, et plus généralement, partout où il y a des professionnels. Parce que la France n’est pas plus homophobe que le Québec ou que n’importe quel autre pays. Mais c’est comme pour tous les domaines, quand on n’est pas formé, pas sensibilisé, les préjugés reposent sur l’ignorance.
Au Québec, on a formé de nombreux policiers. Ils peuvent avoir une action importante sur le plan de la lutte contre l’homophobie. De même, les infirmières scolaires ont beaucoup de crédibilité, dans les écoles et face aux parents. Elles ont besoin d’être sensibilisées en cas de demandes des jeunes. Il faut penser à s’adresser à ces jeunes homos mais aussi à tous les jeunes : tous peuvent être victimes d’homophobie, porteurs d’homophobie. Si l’homosexualité ne les concerne peut-être pas, l’homophobie, par contre, les concerne tous.

Les jeunes découvrent beaucoup plus tôt leur sexualité que leurs aînés. | Photo FlickR, CC, Philippe Leroyer

Au Québec, il y a une politique de lutte contre l’homophobie nationale, où on encourage toutes les écoles, à tous les niveaux, à parler de ces réalités là. Comme on le fait pour le sexisme, le racisme, l’intolérance religieuse. La diversité sexuelle fait partie de la diversité humaine et, comme l’école a un rôle de préparer à la vie citoyenne, il faut qu’elle intervienne bien davantage. Je ne dis pas qu’au Québec c’est parfait, mais le processus est amorcé. C’est vrai que cela a été plus rapide et plus aisé car nous sommes beaucoup moins nombreux.

La France est-elle vraiment très en retard dans ce domaine de l’éducation, de la formation et de la prévention de la violence ?

Oui, il y a urgence. Ce livre, c’est un cri d’alarme. Les choses évoluent si lentement, il y a encore beaucoup de souffrances chez ces jeunes qui se sentent incompris, qui craignent d’être jetés à la rue, qui sont insultés dans leur milieu de vie, que ce soit la famille, l’école ou le travail.
Par exemple, dans les cas de tentatives de suicide, il faut faire de la prévention. Il y a environ dix fois plus de tentatives de suicide que dans la population générale ! Les jeunes sont livrés à eux-mêmes, on ne parle pas de leurs réalités, même quand ils ont besoin d’aide et qu’ils sont dépressifs. Ils ne savent pas à qui s’adresser. Certains témoignages montrent que des jeunes n’ont pas été bien reçus par des psychologues, des professeurs.
C’est pour cela qu’il faut être préparé. Je ne blâme pas et ne dis pas que tous les profs et psychologues sont mauvais, ont de mauvaises intentions ou sont homophones, mais ils ne savent pas quoi faire, parce que dans leur formation, on n’a jamais abordé ces réalités homosexuelles. Il faut les outiller.
Plus généralement, c’est très important de donner un message social très fort pour montrer qu’on veut en finir avec l’homophobie. Il faut que cela soit soutenu par les dirigeants politiques, pour donner une légitimité à ce combat.

> Être homo aujourd’hui en France, de Michel Dorais, avec la collaboration d’Isabelle Chollet. Editions H&O, février 2012.