Si les temps sont durs, si vous luttez contre l’extinction des commerces de proximité et la disparition des caissiers au profit de machines. Si, tout simplement, vous aimez les pieds de nez faits aux grosses chaînes de magasins, vous apprécierez sûrement The People’s Supermarket. Un nouveau concept en matière de supermarché, basé à Londres. Entre épicerie locale et grande surface, voici venue tout droit de New York, une idée qui épouse à merveille l’air du temps. Une coopérative pour la communauté, gérée par la communauté. Pour seulement quelques heures de leur temps et une petite contribution annuelle, les Londoniens peuvent acheter au rabais. Le résultat? Un plein de courses bon marché, éthique et amical. Ce projet ambitieux, presque utopique, n’est pas sans rappeler David contre Goliath !
L’idée est venue de Park Slope Food Coop, une compagnie basée à Manhattan depuis les années 70. La version londonienne a ouvert ses portes le 1er juin dernier sous la supervision d’Arthur Potts Dawson, chef britannique renommé et Kate Wickes-Bull, consultante en vente. « Le premier voulait aider la communauté en faisant face aux supermarchés, la seconde en avait assez de voir comment les employés étaient traités dans ces grandes structures, explique Andy Leach, assistant responsable. The People’s Supermarket est le fruit de ces deux idéaux. » La coopérative est gérée par les deux co-fondateurs, huit salariés et plus de deux cents membres travaillant à l’œil en échange d’une petite ristourne.
The People’s Supermarket a sa place au cœur du quartier cossu de Bloomsbury. La façade, discrète et modeste, ne paie pas de mine. A l’intérieur, un fumet agréable se dégage de la cuisine ouverte, dédiée à la préparation des plats à emporter, du pain frais ou des pâtes maison. Bien achalandée, la surface contient tous les produits nécessaires en matière d’alimentation et d’entretien. « Notre but est aussi de prendre la place des supermarchés dans la vie des gens, il faut qu’ils puissent trouver ce qu’ils cherchent », précise Andy. Avec ses quatre allées, quelques rayonnages réfrigérés et tables en bois mettant à l’honneur les produits frais, comment cette petite coopérative peut-elle néanmoins répondre aux mêmes attentes qu’un supermarché de banlieue, comme le mastodonte Carrefour ?
En allant à l’essentiel. « Certains supermarchés peuvent avoir jusqu’à quinze sortes de papier toilette en stock. Pas besoin de sept couleurs ou huit motifs différents, souligne Andy. Vous n’avez besoin que de trois catégories : une grande marque, une marque éthique et une marque petit budget. » Sacrifier le superflu, c’est aussi faire marcher la communauté : « pourquoi faire venir de la marchandise par avion quand on peut avoir du pain frais en bas de la rue ? », s’étonne l’assistant responsable. Le but est aussi de travailler avec les producteurs locaux. Qu’en est-il des fruits exotiques ou autres douceurs si chères aux consommateurs ? Eux aussi sont verts et prennent le bateau. On le préfère aux avions.
D’ailleurs en matière d’empreinte carbone, The People’s Supermarket va encore plus loin. Selon Andy, trois semaines après l’ouverture, la coopérative avait déjà recyclé environ 800 kg de produits périssables. « Tous les fruits, légumes abîmés ou produits sur le point de se périmer sont immédiatement transformés en plats préparés », explique-t-il. Le chef fondateur et les cuisiniers ont alors comme mission de préparer lasagnes, crumbles, tartes à la banane pour le plus grand plaisir des membres et des clients. La portion de lasagne revient à 3£ (environ 3,37 €) et la différence ici, c’est la qualité. « Les plats à emporter des supermarchés ont été faits à des kilomètres et il y a des semaines », précise Andy.
La démarche est noble, les valeurs authentiques, mais qui fait marcher la boutique ? Les employés et membres sont reconnaissables grâce à leurs t-shirts jaune et s’activent sur la surface de vente, toutes générations confondues. « Une fausse idée de la coopérative voudrait que nos membres soient une communauté de hippies mangeurs de lentilles, mais ce n’est pas le cas », lance Andy. Tous les âges et styles se côtoient dans cet environnement qui reflète bien la diversité communautaire. Pour 25£ par an (environ 28 €) et quatre heures de travail volontaire par mois, les membres reçoivent une réduction de 10% sur toute la marchandise et l’opportunité de développer des compétences.
John, volontaire depuis un mois, est satisfait de cet échange. « La réduction fait quand même une différence et plus, il y a aura de membres, plus elle sera grande. » John prévoit aussi d’ouvrir son restaurant et pour lui, The People’s Supermarket c’est l’occasion de pratiquer. « Arthur est un chef qui a vingt-cinq ans de métier, alors travailler à ses côtés est une très bonne expérience. » Donner pour mieux recevoir.
Ce nouveau concept offre aussi une expérience humaine, Tommy et Annette en savent quelque chose. C’est la coopérative qui a aidé ces époux fleuristes d’une soixantaine d’années lorsqu’ils ont perdu leur boutique. Leurs compositions florales font désormais partie du paysage. « L’atmosphère est si agréable ici ! », s’exclame Tommy. L’altruisme du projet a aussi séduit les sexagénaires : « il y a plusieurs personnes d’un certain âge, plus âgées que nous, ça leur permet de rester active, de s’occuper », ajoute Annette. Même si les tâches sont souvent physiques, avec le nettoyage, le stockage et la manutention, d’autres postes sont disponibles selon Andy. « Une personne âgée pourra tout simplement accueillir, parler de l’histoire du magasin. Il y a beaucoup d’administration et de tâches plus créatives. Par exemple, un adhérent a créé nos badges l’autre jour. » Les membres choisissent leurs tâches et leurs horaires.
Dans ces conditions, une gestion homogène est-elle possible ? Huit salariés assurent une gestion minimum. Leurs salaires sont versés par The Future Job Funds qui est un programme du gouvernement, pour les 18/24 ans, aidant à la création de postes tournés vers la communauté. Nelson est l’un d’entre eux, et pour lui c’est une excellente opportunité. « Je touche un peu à tout. J’apprends beaucoup car on me fait confiance. » Une telle flexibilité semble à double tranchant ? Pas pour The People’s Supermarket. « Les grandes compagnies méprisent l’enthousiasme des salariés, alors que nous essayons de les entendre, de voir ce qui les intéresse. Les employés, de cette manière, sont plus heureux et plus productifs », explique Andy. C’est pourquoi, chaque mois, a lieu une réunion de membres, durant laquelle tout le monde vote pour prendre certaines décisions. « L’autre jour, les membres devaient voter pour décider si nous devions, ou non, vendre des cigarettes. Ils ont voté non. » Un choix respecté par les fondateurs qui auraient pourtant pu faire un profit facile et rapide.
Si le rêve de The People’s Supermarket reste celui d’éliminer les grosses chaînes alimentaires qui détruisent l’esprit communautaire, la première étape est de faire assez de profits pour réinvestir dans le projet. « On aimerait dire à nos membres : "nous avons fait tant de bénéfices cette année. Voulez-vous créer un autre magasin pour aider une autre communauté ? Voulez-vous une réduction de 30% ?". Dans tous les domaines, c’est aux membres de choisir. » Trois semaines après l’ouverture, la coopérative avait déjà atteint plus de la moitié de son quota minimum d’adhérents. « Nous avons 270 membres, et il nous en faudrait au moins 500 pour que les choses tournent normalement », constate Andy.
Goliath a probablement de beaux jours devant lui. Les débuts de The People’s Supermarket sont prometteurs dans un quartier huppé de la capitale britannique, laissant à penser que, pour toutes les catégories sociales, l’intérêt est à un retour aux valeurs authentiques. L’union fait la force !