Le siècle des disques

Le siècle des disques

Le siècle des disques

Le siècle des disques

19 avril 2013

Est-ce un mauvais présage ? Depuis deux ans, par une belle journée de printemps, on rappelle au souvenir des foules cette belle activité artisanale qu'est le travail de disquaire via le Disquaire day, qui se tient ce samedi dans toute la France. Comme s'il fallait se sensibiliser à sa possible disparition future. Pas si sûr… Après tout, le jour des morts, rituel hivernal éternel, ou la journée de la femme, apparue il y a quelque trente ans, ont encore, on peut le croire, de belles heures devant eux. Oui, mais les disquaires, eux, n'ont pas un jour dans l'année. Ils ont un « day ». A notre grand dam.

L’exception French

C’est douloureux de l’admettre, mais, en matière de disques, comme en musique, nos voisins britanniques auront toujours une longueur d’avance. Instauré depuis 2007 aux USA puis au Royaume-Uni, le jour des disquaires débarque donc quatre ans plus tard dans l’hexagone, sous un nom qu’à moitié francisé. Son objectif ici est le même qu’ailleurs : fédérer les acteurs indépendants de l’industrie du disque et sensibiliser les amateurs de musique aux supports et services qu’apportent aujourd’hui les disquaires dans cette industrie de crise. Rappelons que 90% d’entre eux ont fermé boutique ces vingt dernières années. Pour le CALIF (Club Action des Labels Indépendants Français), cette statistique est l’écho d'un déficit de la qualité de la diffusion musicale, fondée sur une relation de proximité et de conseils, au profit d'une logique de grande consommation et d'uniformisation amorcée dans les années 80.

En renouant, un jour par an au moins, avec les objets, ceux qui les vendent et ceux qui les font, le Disquaire Day entend bien revenir à un rapport plus direct et plus personnel entre les acheteurs et les artistes, par l’intermédiaire des disquaires, garants de cet échange. Avec une communication qui privilégie l’angle des collectionneurs et de la rareté, à laquelle s’associent quelques têtes d’affiche prescriptrices d’opinions (Alex Beaupain, Tue-Loup, La Maison Tellier, Rubin Steiner pour l'édition française) la stratégie, née aux USA, est adoptée telle quelle.

Du décès des CD

Dans ce contexte, le coupable implicite (et la victime potentielle), c’est le CD. Sans le montrer du doigt de trop près (ça risque de le rayer), on comprend quand même qu’en 2013, être amateur de disques, c’est revenir aux sources, à un éden lointain où notre industrie ne connaissait pas la crise. A une époque où le CD n’avait pas perverti le concept même du rapport au disque et introduit avec lui les virus du marketing, de la production de masse et de la standardisation.
C’est là que je dois faire un aveu, dont j’ai affreusement honte en tant qu’amateur de musique, souvent qualifiée d’indépendante qui plus est. Eh bien, voilà, c’est triste, lamentable peut-être, mais personnellement, j’aime les CD. Je suis né deux ans avant le pressage de « Born in the USA » (premier CD de l’histoire, après Beethoven), je les ai découverts quand j’étais enfant, ils ne m’ont jamais quitté depuis, et je continuerai à en acheter tant qu’il en restera des exemplaires en état correct dans les vide-greniers du futur.

Et à vrai dire, le désamour qu’ils suscitent chez les jeunes gens de ma génération m’interpelle un peu. Pour les bobos branchés que nous sommes (et que vous êtes, vous aussi, ne faites pas semblant) les vinyles sont (re)devenus parfois le seul format physique digne de ce nom pour écouter de la musique. Le seul support supportable en somme. Tiens donc. Mais est-ce vraiment une question de musique ?

Un vinyle sinon rien ?

Le son est meilleur, diront les puristes. Sans doute. Si on fournit le système d’écoute à 25 000 € qui va avec, je goûterais bien volontiers la différence. Le vinyle c’est beau et classe. Théoriquement oui. Mais il faut reconnaître que bon nombre de productions modernes ne font pas l’effort minimal dans leur édition vinyle, se contentant sans doute d’exister dans ce format. Là où une version CD contient un livret et un artwork artisanal, pourquoi choisir un vinyle réduit à une présentation standardisée, finalement plus froide et impersonnelle que la version compacte ? Oui, pourquoi ?

Je me pose toujours la question, ayant opté pour la seconde option à plusieurs reprises à la sortie de concerts où j’hésitais entre les deux. Il m’est d’ailleurs arrivé de racheter en CD certains disques acquis initialement en 33 tours, mais dont l’artwork laissait trop à désirer. Un comble pour ce qui est censé être l’objet ultime associé à la production musicale. Le vinyle, c’est une vraie expérience d’écoute. Indéniablement. Ça peut d’ailleurs aller jusqu’à prendre le pas sur l’œuvre elle-même. Certains albums ne sont simplement pas faits pour exister en vinyle et les éditer dans ce format relève de la malhonnêteté marketing. A la limite, que quelques CD un peu longs se retrouvent gravés sur deux disques différents en microsillons, soit. Admettons qu’on gagne en engagement d’écoute ce qu’on peut perd en élan et fluidité. Admettons. Mais quid des chansons trop longues, qui ne tiennent tout simplement pas sur une face de disque vinyle ?

En 2010, Sufjan Stevens sort un copieux album, "The Age of ADZ ", du reste un chef d’œuvre, comprenant une chanson finale de plus de 25 minutes. Problème : celle-ci ne peut techniquement pas être gravée en l’état sur une face à microsillons, trop longue. Qu’à cela ne tienne, l’album est néanmoins pressé en 33 tours, édition double vinyle, avec une chanson finale scindée en deux, la seconde et dernière partie arrivant avant la première dans une écoute normale de l’album. C’est horrible. Mais le label édite, l’artiste valide (j’imagine), les disquaires vendent (assez cher d’ailleurs, car c’est un double), les fans achètent. Au bout du compte, tout le monde est gagnant mais en perdant la face. Est-ce qu’un beau CD de soixante-quatorze minutes, n'ayant justement qu'une seule face, mais bien lisible, n'aurait pas été mieux ? Outre que c’est un format ringard et capitaliste bien sûr. Mais soyons peut-être prêts à quelques concessions au nom de la musique. Comme celle de racheter des CD.

Un peu d’anticipation

Dans deux ou trois générations, imaginons nos arrières petits-enfants écouter de la musique. Les fils auront disparu, et sans doute tous les appareils électroniques aussi. Un système ingénieux avec une minuscule puce intégrée dans la boîte crânienne, le iBrain, leur permettra d’écouter à l’infini tous les morceaux désirés par simple stimulation de la pensée. Le Disquaire Day aussi aura disparu mais dans les cartons laissés au fond des caves de quelques centenaires croulants, on s’émerveillera devant ces objets d’un autre millénaire. Au nom de leurs "Glory Days", on les exhumera, on passera un coup de chiffon et on essaiera même de remettre en état de marche les vieux instruments conçus pour les écouter. Sous ces kilos de poussière et d’années entassées, gageons que CD et vinyles entraîneront alors le même regain de fascination. A moins que tout ça ne termine en frisbees.

> Le disquaire day, samedi 20 avril, partout en France. Pour connaître les manifestations organisées à cette occasion, cliquez ici.