Dès son arrivée dans une nouvelle école, Nishimiya fait tout pour que sa surdité ne soit pas un frein à la communication pour ses camarades. Armée de son fidèle cahier, la jeune fille écrit ce qu’elle ne peut dire en espérant que les élèves adoptent ce moyen de communication en retour. Mais très vite, Ishida, un garçon de sa classe, la prend pour cible : pas un jour ne passe sans que Nishimiya soit la cible des brimades cruelles du jeune garçon. Tout bascule le jour où Ishida va trop loin. Dénoncé pour son comportement, le garçon est à son tour rejeté par ses camarades. Des années plus tard, Ishida apprend la langue des signes et se met en tête de retrouver celle qui fut sa victime.
Du manga à l’anime
Inspirée par le travail de sa mère interprète en langue des signes, Yoshitori Oima n’a que 26 ans lorsqu’elle signe Silent Voice, son premier manga. Gros succès au Japon, le livre qui explore le phénomène du harcèlement et les difficultés de communication à l’âge adolescent sort en France en 2015 où il rencontre également son public. Il faut dire que son arrivée dans l’hexagone bénéficie d’un contexte favorable : le harcèlement scolaire est à l’époque une priorité du ministère de l’Education Nationale. L’opération « Non au harcèlement » et la journée du 9 novembre mettent en lumière un sujet jusque là très peu commenté. Pourtant, ce sont près de 700 000 enfants qui se plaignent de subir chaque année brimades, violences physiques et/ou morales, dénigrement ou humiliation. Le sort de la jeune Nishimiya harcelée par un camarade de classe ne pouvait qu’entrer en résonance avec la prise de conscience tardive de ce phénomène alarmant.
Sorti en 2016 au Japon, Silent Voice qui adapte le manga de Yoshitori Oima a atteint la deuxième place au box office japonais et a reçu de nombreux prix dont le meilleur film d’animation de l’année par l’académie du Japon. Alors que le film sort — enfin — en salles en France, les spectateurs vont pouvoir apprécier la finesse de cette histoire qui ne cache rien des défauts de ses personnages mais les traitent avec une justesse touchante. Au-delà de traiter avec intelligence du sujet complexe du harcèlement, le premier long métrage de la réalisatrice Naoko Yamada explore les rouages sociaux qui motivent la réaction — ou le plus souvent la non réaction — de jeunes garçons et filles face à une situation de maltraitance. Le fait que le harceleur devienne à son tour mis à l’écart de la communauté des élèves et cherche, des années plus tard, à expier son comportement ajoute de la profondeur à un récit plus complexe qu’un simple affrontement — forcément inégal — entre une victime et son bourreau.
En marge arrière
Silent Voice puise son originalité dans le fait de dépasser l’affrontement entre la victime et son harceleur en interrogeant plus largement le système social qui permet au harcèlement d’exister. D’un tempérament doux et attentionné, Nishimiya fait preuve d’une patience à toute épreuve devant les attaques répétées de son camarade. Malgré les humiliations et les mauvais traitements, elle ne cesse de lui tendre la main, espérant un déclic chez celui qui la harcèle. La jeune fille souffre moins de son handicap la plongeant dans un monde de silence que du comportement de Ishida qui l’isole des autres camarades. Au-delà des humiliations quotidiennes — Nishimiya encaisse grâce à un solide caractère —, c’est leurs conséquences qui préoccupent réellement la jeune fille sourde, ce qui l’éloigne de la victime totalement soumise. La brute Ishida reste d’ailleurs interloqué devant la combativité passive de sa victime. Lorsque la situation s’inverse et qu’il se retrouve à son tour mis au ban de la communauté, le jeune garçon doit affronter l’isolement et les brimades qu’il a imposé à Nishimiya. Il prend conscience que le groupe qui validait implicitement son comportement vient de se retourner subitement contre lui. Mais comme pour son ancienne victime, le combat n’est pas contre les autres qui refusent le dialogue — ils ne faisaient déjà pas d’effort pour l’établir avec la jeune fille sourde — : la bataille à livrer est avant tout personnelle. Pour Nishimiya comme pour Ishida il s’agit de trouver, chaque jour, la force de continuer face à l’adversité.
Naoko Yamada ne cache rien des cruelles humiliations que le jeune garçon fait subir à sa victime — juste parce que son handicap le met mal à l’aise, mais probablement aussi car il ne sait pas gérer une certaine attirance pour cette nouvelle venue — mais ne le juge pas. Cette distance entretenue avec les différents personnages permet de rendre crédible la prise de conscience — très tardive — de Ishida. Alors qu’il a appris la langue des signes, celui-ci tente désespérément, des années plus tard, de retrouver la trace de sa victime. Mais pour quelle raison d’ailleurs ? Pour s’excuser, expier ses fautes et enterrer celui qu’il a été ou tout simplement la revoir ? Ses motivations sont un mélange ambigu de tous ces sentiments et cette quête n’est au final qu’une façon de parler de notre rapport au monde et aux autres. Parmi les images frappantes de Silent Voice, Ishida, rejeté, croise ses camarades dont les visages sont tous barrés par de grandes croix mauves. Symbolisant l’impossibilité de communiquer, ces signes inamovibles illustre avec force la solitude imposée ou qu’on s’impose face aux autres. Si l’anime de Naoko Yamada traite du harcèlement scolaire ce qu’il transmet sur la pression du groupe social et l’isolement est un sentiment plus universel. Nos interactions sociales sont au final motivées par ces croix mauves qui se détachent ou non.
Anime explorant des thèmes aussi sombres qu’il est lumineux, Silent Voice offre une réflexion fine et touchante sur le phénomène du harcèlement. Un thème qu’il élargit plus globalement aux règles complexes qui sous tendent nos interactions sociales. Une jolie voix qu’il serait dommage d’ignorer.
> Silent Voice (Koe no katachi), réalisé par Naoko Yamada, Japon, 2016 (2h12)