En 2013, on ne réserve plus une chambre d’hôtel, on s’offre à moindre frais un appart en centre ville. Réciproquement, on arrondit ses fins de mois en louant son 35 mètres carrés dès que l'on a l’occasion de s'échapper de son train-train quotidien. Étudiants, jeunes couples, retraités, ils n'hésitent pas à faire appel, quand ils ne mobilisent pas leur propre réseau via Facebook, à ce genre de plates-formes qu’on ne compte plus sur la Toile : AirBnb, Parislodging, House trip Parisian home, Lodgis, Bookaflat, Parisattitude, vivastreet…
Résider local où que l’on voyage
Le principe est simple : résider «comme à la maison» avec en prime les tuyaux et bonnes adresses laissés sur un coin de table, assortis un petit mot aimable et à l'occasion d'une bouteille de Bordeaux. Guylène, trentenaire diplômée d’une école de commerce, a mis en place My Apt en 2012 avec son associée Laura. Le principe : proposer, outre des appartements triés sur le volet, des services personnalisés (conciergerie, livraison de fleurs, baby-sitting, taxis) permettant au client d’endosser le costume du Parisien le temps d'un passage à la capitale . Un concept, raconte-t-elle, qui germait en elle depuis un séjour londonien, voilà six ans, où beaucoup la harcelaient de leur souhait de visiter Paris autrement qu'à l'hôtel. «J’ai commencé avec l’appartement d’une copine hôtesse de l’air, puis le bouche à oreille a fonctionné. Amis, amis d'amis, potes, relations de boulot, etc., si bien qu’aujourd’hui je gère une trentaines de biens situés au pied de la Butte Montmartre comme dans des quartiers plus populaires tels que la Goutte d’Or, ou plus chics comme le 16e arrondissement», explique t-elle.
La clientèle, composée aussi bien de retraités allergiques aux corvées domestiques que d’intermittents du spectacle nomades par essence, ou encore de parents voulant rentabiliser un studio acheté jadis pour des enfants maintenant dispersés, n’a rien à faire que de confier un trousseau de clés, moyennant 30% à 50% du prix final. Un pourcentage important, mais Guylène et Laura le promettent, elles s’occupent de tout. Utilisateur de ce service, Stéphane, musicien de jazz, applaudit : «C’est l’idéal pour moi qui suis en tournée le tiers de l’année. Je n’ai rien à faire, je ne vois même pas les locataires, ce qui vaut mieux car on n'a pas toujours très envie de savoir qui va dormir dans votre lit. Et quand je rentre, mon appart est encore plus nickel qu’au départ. Sans parler du fait que ça m’aide à rembourser mon emprunt, pas des moindres».
Je loue, donc je spécule ?
Et la réglementation, dans tout ça ? La mairie de Paris estime de son côté que la location saisonnière contribue à la hausse des loyers et prive le marché locatif de 20 mille logements par an. Mobilisée pour limiter les abus, elle n’hésite pas à poursuivre les propriétaires, en s’appuyant sur l’article L. 631-7 du code de la Construction et de l’Habitation. Celui-ci interdit d'affecter un local d’habitation à un usage commercial, industriel ou administratif. C’est ainsi qu’une personne a été condamnée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 septembre 2012, à payer 10.000 euros d’amende pour avoir loué cinq logements sans autorisation préalable. Autorisation qui concerne exclusivement les habitants des villes de plus de 200.000 habitants et les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
Guylène insiste sur ce point : «La loi ne concerne que les résidences secondaires et elles seules. Nous prenons bien soin de ne traiter qu'avec des gens dont le bien immobilier est une résidence principale, voire un pied-à-terre occupé la plupart temps. Et en aucun cas pour une location annuelle». Plus précisément, la loi autorise à louer trois mois par an son habitation principale pour profiter de revenus supplémentaires. Une location meublée touristique consiste, selon les textes officiels, à louer un appartement meublé pour une durée de moins d’un an (ou 9 mois pour un étudiant) . Et de s’insurger contre ceux qui la taxeraient de spéculation, à l’instar des sites tels que AirBnb qui estiment pour leur part qu’ils contribuent à redynamiser l'économie locale dans des zones souvent délaissées par l’industrie du tourisme: «En fait de spéculation, on évite surtout l’aberration des logements périodiquement vides, alors qu’il y a pléthore de demandes, et pas seulement, je le précise, de la part de particuliers, mais également de grandes sociétés en quête de lieux plus "intimes" pour organiser des réunions et séminaires», estime la fondatrice de MyApt.
Un argument sur lequel Claire Lévy-Vroelant, sociologue de l’habitat et de la ville, professeur à Paris 8 et membre du centre de recherche sur l’habitat, reste mesurée : «Il est bon que la puissance publique décourage, voire sanctionne la vacance durable d’un logement. Toutefois, dans les conditions actuelles, on voit mal comment elle pourrait s’y interposer, d’autant que la crise du logement a des causes bien plus profondes que cela. Quant au chiffre de 20.000 habitations, poursuit-elle, il reste faible au regard des quelques 200 000 résidences secondaires vides (ou vacantes, ndlr) », explique la sociologue. Selon elle, le problème est plus général : on assisterait à une transformation du secteur de la location meublée. Elle ne constituerait plus, à côté des logements sociaux, (autrement dit du parc social de droit), un «parc social de fait» bien utile aux migrants et aux personnes de condition modeste, mais bel et bien un marché accessible, de plus en plus, aux seules classes sociales élevées.