Plus de 25 ans après sa démolition, des fragments du Mur de Berlin s’exposent sur le parvis de la gare de l’Est. Jusqu’au 8 juillet 2015, l’exposition "Art liberté, du mur de Berlin au street art" présente une trentaine de morceaux du Mur, 1,20m sur 1m, qui ont servi de support à une trentaine de street artists, dont six artistes historiques qui peignaient cette frontière de béton, alors dressée entre Berlin Ouest et Berlin Est. Erigé en 1961 par la RDA, le mur devait empêcher les Allemands de la zone communiste de passer à l’Ouest, jusqu’à sa démolition en 1989.
Ces fragments viennent de la collection privée de Sylvestre Verger, commissaire de l’exposition, réalisée en partenariat avec la SNCF. Parmi les artistes qui ont voulu y participer : Jean Faucheur, C215, Jef Aerosol, Jérômes Mesnager ou encore Borondo. Devant l’imposante gare de l’Est, les trente œuvres se font face entourant trois Trabant, la petite automobile en plastique, emblématique de l’Allemagne de l’Est. Celles-ci ont été peintes par les Français Thierry Noir, Christophe-Emmanuel Bouchet et l’Allemand Kiddy Citny, pionniers du street art, mais aussi les trois premiers à avoir osé peindre le Mur de Berlin.
Le trio ainsi reformé, tous trois ont réalisé une fresque de 47 mètres de long, rue d’Alsace, entre la gare de l’Est et la gare du Nord. On y retrouve les "Statues de la Liberté", peintes en 1986 au Checkpoint Charlie, dans le secteur américain, réalisées par Christophe-Emmanuel Bouchet et mises en couleur avec Thierry Noir. Aux côtés des Statues, des fresques de Thierry Noir, Kiddy Citny, et l’artiste brésilien L7M, qui, s’il n’a pas peint le Mur de Berlin, incarne toutefois la relève.
"Je peignais le mur pour le faire tomber"
Le graffiti et le Mur de Berlin, deux histoires étroitement imbriquées. Si le premier n’en était qu’à ses balbutiements, il incarnait toutefois à Berlin la puissance créatrice et la liberté, comme une réponse à l’oppression exercée par le Mur.
Thierry Noir, que nous avons pu interviewer, l’explique ainsi : c’est "la mutation de l'art, faisant de Berlin une des plus importantes villes du monde pour le street art qu’on appelait encore graffiti. De nombreux artistes s'y donnaient rendez-vous, sentant instinctivement que cette ville avait ce quelque chose de plus qui donne envie de créer. Il existait à Berlin une atmosphère d'urgence qui poussait les artistes à se surpasser pour survivre en créant". En 1982, quand il quitte Lyon pour Berlin, Thierry Noir n’a en tête ni l’idée de peindre ni l’idée de risquer sa vie aux abords du mur.
Pourtant, il est le premier à le couvrir de peinture. "Je voyais ce mur l’hiver, l’été, la nuit, le jour et ce n’était vraiment pas comme dans la chanson Berlin de Lou Reed de 1974, où il chantait : It was so nice it was paradise, Berlin by the wall". Chaque jour, son regard se cogne au mur, progressivement, le besoin de le peindre s’impose. "Apres 2 ans de vie près du mur j’ai eu le besoin de faire quelque chose contre ce mur angoissant. Une sorte de réaction physique contre la pression de la vie quotidienne à côté du mur de Berlin. Le dos de ma maison, mon centre de jeunes où je demeurais, était à 5 mètres du mur". Pour lui, le mur est "Une énorme machine à tuer, une espèce de crocodile qui de temps en temps se réveillait et mangeait une ou plusieurs personnes pour se rendormir ensuite jusqu’à la prochaine fois, un monstre sanglant".
Très vite il fait la connaissance de Christophe-Emmanuel Bouchet. Ensemble, ils ont d’abord l’idée de s’attaquer au pan de mur derrière la maison de jeunesse où ils logent tous les deux. "Il fallait être très rapide, toujours peindre d'un œil, l'autre faisant attention aux soldats, surtout ne pas peindre seul ou dans des endroits isolés". Le mur est en effet dressé en retrait de la frontière, côté Est. Atteindre le mur, c’était prendre le risque de se faire arrêter par les soldats de la RDA.
C’est pour cette raison, l’urgence, que Thierry Noir a développé ces mythiques têtes des bonshommes, aux contours simples, toujours de profil, les lèvres souvent charnues. "Ces têtes se sont imposées d’elles-mêmes", explique-t-il. Ces deux-là, rejoints par Kiddy Citny, rencontré dans une discothèque, ont pris conscience de la portée de leur geste avec les réactions des Berlinois. Alors il ne s’agissait plus de peindre l’arrière de la maison, mais ils voulaient faire changer le regard des Allemands sur le mur. "Je peignais le mur pour le faire tomber", décrit Thierry Noir sur son site Internet. La démarche n’est pas esthétique, la démarche est politique. "Je voulais montrer aux gens que ce mur mythique n'était en fait pas éternel".