Véritable mythe télévisuel, l’émission belge Strip-tease qui fête cette année ses 40 ans a marqué les esprits. Objet télévisuel non identifié, le programme s’est imposé comme une référence avec son parti pris d’images brutes non commentées. Le programme revient avec une compilation de cinq nouveaux reportages. Strip-tease intégral continue sur grand écran cette lignée de sujets parfois devenus cultes.
Des influenceurs de Dubaï, une apprentie comédienne qui tente de percer lors du festival off d’Avignon, un hypocondriaque en quête d’antécédents familiaux… et un dernier segment d’une froideur existentielle. La sélection de ces tranches de vies est à la fois drôle, touchante, sombre et lumineuse, mais toujours d’une grande sincérité. La marque de fabrique d’une émission qui continue à mettre à nu une humanité déconcertante.
Du petit au grand écran
L’histoire de Strip-tease débute avec une lassitude. Celle partagée par Jean Libon, caméraman, et Marco Lamensch, journaliste. Après avoir parcouru le monde pendant plus de 15 ans pour une émission équivalente à un Envoyé Spécial en France, ces deux belges décident de tout envoyer valser pour expérimenter un autre format. Leur film Les Russes attaquent à l’aube (1983), sujet sur des soldats belges envoyés s’entraîner en Allemagne qui partagent leur ennui abyssal face caméra, donne un avant-goût de Strip-tease lancé en 1985. Le concept est simple, basique : les protagonistes sont filmés sans fioritures. Aucun commentaire ni contexte, des reportages bruts qui imposent, au fil des épisodes, l’émission comme un programme culte.
Le génie du programme : trouver des histoires et des profils atypiques. Avec 900 sujets réalisés, l’émission peut se targuer d’avoir été le reflet de l’époque et parfois visionnaire sur les mutations de la société. Avec Strip-tease intégral, le programme culte s’offre une troisième virée sur grand écran. Il succède à la juge sans filtre de Ni juge, ni soumise (2017) et, plus récemment, la folle enquête de l’inspecteur Lemoine dans Poulet Frites (2021) – lire notre critique, projet enfanté par la pandémie du Covid.
Brut
Ce long métrage de cinéma respecte à la lettre le dogme Strip-tease : une captation de la réalité sans artifice, « à hauteur d’yeux » souligne Jean Libon qui tient à cette règle. La spontanéité comme quête absolue, cette collection de cinq portraits tente de capter l’essence de leurs « personnages ». Mais attention, ne dites pas au cinéaste que Strip-tease se moque ! Il y a évidemment de l’humour dans ces tranches de vie mais selon le réalisateur, jamais aux dépens des protagonistes.
Qualifié tour à tour d’humaniste ou de crapule, Jean Libon balaie la louange comme l’accusation en assurant n’être ni l’un ni l’autre. Après tout, au spectateur de se faire son avis. S’il trouve matière à rire dans ces portraits, il est le mieux placé pour savoir si ce rire est moqueur ou déplacé. Après tout, là réside peut-être la force du programme dont l’immédiateté nous renvoie à notre regard et jugement.
Look at me
Cet effet miroir est particulièrement évident dans cette succession de vignettes qui mettent en scène des personnes dont le point commun est l’envie d’être mis en avant et se prêtent volontiers au jeu de la caméra. Une façon d’analyser « le regard des gens sur eux-mêmes » selon Jean Libon. Ainsi le segment L’odeur de l’essence de Stéphanie De Smedt qui ouvre le bal semble être l’exemple le plus évident de cette impudeur assumée car il suit la vie de Cassi, Shady et Jolve, influenceurs à Dubaï.
Les jeunes stars des réseaux sociaux n’ont aucun souci à être filmés dans un épisode qui dévoile leur vie d’une vacuité étourdissante, entre chasse au like et opérations chirurgicales effarantes. Dans un style beaucoup moins clinquant et beaucoup plus écologique, Zéro déchet de Clémentine Bisiaux suit la croisade d’Anne, mère de famille catho, pour un avenir plus propre. Une obsession qui la pousse à tout rendre réutilisable. Y compris le papier toilette au grand dam de ses proches pas vraiment convaincus.
Autre « personnage » haut en couleur, Coline tente dans Miroir, mon beau miroir de Régine Dubois de se faire une place au sein du festival off d’Avignon. Elle y croit dur comme fer et investit ses économies dans ce projet. Dans une salle minuscule qu’elle a loué, une poignée de spectateurs assiste à son one woman show en rodage qui peine à convaincre. Une visite en off d’un festival avec l’apparition surprise de Francis Lalanne qui fait évidemment le show devant la caméra. Moment de gêne devant du Shakespeare cité dans le texte mais au moins l’artiste nous épargne ses thèses conspirationnistes. Vous avez dit ego ?
Antécédents familiers
Les Antécédents familiaux est un peu à part dans cette sélection car la réalisatrice Mathilde Blanc filme ses parents. Plus personnel, il s’agit aussi du segment le plus touchant, parcouru par un tragi comique subtil. Olivier, le père, est un grand hypocondriaque qui cherche ses origines pour mieux se rassurer – ou non – sur les antécédents familiaux en termes de risques médicaux. Une quête très égocentrique qui fait sourire mais il y a un twist digne d’un thriller.
En se recentrant sur le couple, ce segment montre avec beaucoup de tendresse les déséquilibres d’une charge mentale médicale au sein d’un couple hétérosexuel. Le spectateur qui pensait glousser innocemment devant ce grand angoissé risque de se retrouver touché en plein cœur à la fin de l’histoire. C’est aussi la force de Strip-tease qui sait parfois retourner l’amusement en empathie.
Strip-tease intégral est hanté par des chaussures soigneusement emballées qui apparaissent furtivement entre chaque segment et qui annoncent un dernier reportage médical. Après la maladie, la mort ? Exactement. Le générique télé de Strip-tease annonçait une émission « qui vous déshabille », la promesse du strip-tease intégral de la version cinéma est ici amplifiée avec le provocateur Bidoche. Une séquence morbide signée Jean Libon et Yves Hinant consacrée à une autopsie.
Jusqu’à la morgue
Oui, vous avez bien lu, une autopsie d’un cadavre humain par un médecin légiste. Filmé en plan fixe, à distance raisonnable, ce dernier segment protège l’identité de l’homme découpé sous nos yeux grâce à un bloc note posé devant son visage. Pour le reste, la caméra capte tout : les organes découpés et soigneusement extraits du corps. Et le son… Des bruits peu ragoûtants difficiles à mettre à distance lorsqu’il s’agit d’un véritable corps.
En temps réel, la conclusion de Strip-tease intégral propose cette dissection en temps réel, brut de décoffrage. Aucun contexte évidemment comme l’impose la règle. Un « truc radical » selon Jean Libon pour nous confronter à la mort qui selon lui n’est plus vue frontalement et mettre en avant un boulot « comme un autre ». Comme si cette confrontation ultime avec la mort venait punir la vanité des segments précédents. Au spectateur d’évaluer l’intérêt de cette séquence saisissante qui retourne les tripes.
Avec ces cinq portraits tournant autour de l’idée de l’ego qui pousse certains à se dévoiler devant une caméra comme tant d’autres avant eux, Strip-tease intégral nous renvoie notre propre vanité. Et d’une certaine façon notre voyeurisme, pris au mot avec un dernier segment d’une froideur existentielle terrifiante ou fascinante, au choix. Intégral ? Difficile en effet d’aller plus loin, la promesse est en tout cas tenue.
> Strip-tease intégral réalisé par Jean Libon, Clémentine Bisiaux, Régine Dubois, Stéphanie De Smedt, Mathilde Blanc et Yves Hinant, Belgique, 2024 (1h29)