Avec la crise financière, le surendettement on en parle un peu, dans les médias, sans jamais véritablement l’incarner. Ces couples, ces familles ont cru à un idéal de vie et se sont brûlés les ailes. Comment gère-t-on une vie de surendetté ? Quel est le parcours réel d’un dossier de surendettement ? Nous avons interviewé Clément (le prénom a été modifié), 37 ans. Cet ancien cadre des achats, autodidacte, actuellement en recherche d’emploi, se livre sans détours. Toujours, il ressent l’angoisse d’être jugé, cette difficulté parfois à tout assumer. Et la honte, qui ne le quitte pas.
Vous êtes surendetté. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que financièrement nous n’arrivons plus à faire face à nos dettes.
Comment en êtes-vous arrivé là ?
Le schéma du surendettement est souvent le même, la vie nous offre une confiance financière, nous faisons beaucoup de projets et on prend parfois des risques qui finissent par se retourner contre nous. Nous n’avons jamais été, à proprement parler, de bons gestionnaires, et nos situations financières ont régulièrement oscillé entre beau fixe et zones de turbulences.
En 2005, cela faisait plusieurs années que nos finances allaient mieux. Je venais d’avoir un travail, dont le salaire nous permettait enfin de faire des projets d’avenir ambitieux. Nous avons donc décidé d’acheter une maison. Nous avons pour cela contracté un prêt auprès d’une banque, dont le gestionnaire a fait en sorte que notre dossier passe malgré les trois ou quatre prêts à la consommation que nous avions déjà sur le dos. J’étais un peu frileux, mais ses arguments, plus l’envie d’être enfin propriétaire, ont eu raison de cette méfiance. Nous avons contracté un prêt à taux variable. Un an après, je perdais mon emploi et avec, pratiquement 50% de nos revenus. On venait, sans le savoir, de rentrer dans la sphère du surendettement.
Qu’avez-vous fait concrètement pour vous sortir de cette situation ?
Outre le fait de chercher un travail à tout prix, y compris en-dessous de mon salaire, j’ai contacté la banque en expliquant la situation et la période difficile que nous étions amenés à traverser, tout en précisant que nous faisions en sorte de tenir nos engagements. On demandait simplement un peu de complaisance sur les quelques mois à passer, surtout de ne pas nous assommer de frais. La première réponse de notre banquier fut une proposition de prêt supplémentaire, pour faire face aux difficultés passagères, mais même en ayant trouvé un emploi en intérim, cela paraissait impossible. Ensuite, ce fut de tenter de demander de l’aide à la famille.
Un mois plus tard, la banque nous préleva près de 2000€ de frais, nous refusa des chèques, tout en nous conseillant d’utiliser ce moyen de paiement, car ils avaient bloqué notre compte en argumentant un découvert important et long. Mais ils oubliaient de préciser que nous avions renfloué le compte à deux reprises, alors que le montant exorbitant des frais prélevés par la banque nous replongeait systématiquement dans le rouge… C’est alors qu’on nous a proposé de monter un dossier de surendettement.
Renfloué, puis ponctionné
Est-ce que cela vous a permis de sortir la tête de l’eau ?
Non, pas immédiatement, car à partir du moment où le dossier fut déposé, notre compte fut géré par le service contentieux de la banque, nous ne pouvions plus retirer d’argent sans en avoir fait la demande à la nouvelle gestionnaire. Je me souviens d’un jour où ma fille cadette était malade, je devais l’emmener chez le médecin, mais pour cela il me fallait retirer de l’argent. J’ai dû négocier un certain temps jusqu’à finir en larmes pour pouvoir obtenir 30€. Pendant ce temps, les frais ne cessaient d’être ponctionnés, dès que le compte revenait en positif, il était systématiquement remis à découvert par la banque. On nous a demandé aussi de stopper tous les prélèvements pour ne pas favoriser l’un ou l’autre des créanciers.
Comment se passe la procédure de surendettement ?
Tout d’abord, vous déposez un dossier de demande en commission de surendettement auprès de la Banque de France. Si elle juge votre situation recevable, elle propose un plan d’échelonnement de la dette. Ce dernier doit être accepté par l’ensemble des créanciers. Si l’un d’eux s’y oppose, le dossier passe devant un juge qui statue sur la recevabilité du dossier. Mais si un créancier s’oppose à cette décision, le dossier repart et ainsi de suite.
En ce qui nous concerne, un créancier s’opposa dans un premier temps et le tribunal jugea notre dossier recevable, nous précisant qu’aux vues des actions de la banque, il était conseillé de retirer nos salaires du compte, car il estimait que la banque avait failli sur de nombreux points. A ce moment-là, nous avons pu respirer, reprendre une vie presque normale. Mais la bêtise humaine n’ayant pas de limite, nous nous sommes aussi laisser aller en nous imaginant que, lorsque le plan serait mis en place, nous pourrions enfin voir le bout du tunnel.
Je ne comprends pas. Le jugement ne suffisait-il pas à mettre en place le plan de la Banque de France ?
Non, car pour que le plan se mette en place, il faut toujours l’accord de l’ensemble des parties. Tant que l’une d’elles s’y oppose, qu’il y ait jugement ou non, le dossier doit repasser devant un juge et ce, jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord. D’ailleurs, nous pensions toujours devoir attendre la mise en place de ce plan pour pouvoir enfin le suivre, puisque nous n’étions pas censés payer qui que ce soit pour ne pas être accusés de privilégier l’un ou l’autre, y compris la banque.
Alors bêtement, on a attendu, on a remboursé les gens de la famille ou des amis qui nous avait prêté de l’argent, on a mis à jour notre situation, payé une partie des factures en retard, etc. Puis, le trésor public s’est rendu compte qu’ils ne pouvaient accepter un plan de surendettement (alors qu’ils ne s’étaient pas manifestés au départ…), le dossier est donc reparti devant le tribunal, pour revalidation du plan.
Pourquoi le Trésor Public a-t-il refusé le plan ?
Nous avons appris par la suite, qu’en règle générale, le Trésor Public n’accepte jamais un plan de la Banque de France. C’est comme ça. L’Etat ne fait aucune concession sur les arriérés dus. La remarque nous avait été faite lors de la dépose du dossier, que le Trésor Public risquait de refuser le plan, mais nous lui devions également de l’argent, pas d’autre choix qu’espérer.
En résumé, nouvelle contestation, nouveau jugement, nouvelle attente de plusieurs mois. Mais, nous allions l’apprendre à nos dépends, l’ambiguité de la procédure, implique de ne pas privilégier un créancier pour un autre, mais aussi de ne pas augmenter notre endettement. Car ne pas payer ses mensualités, quel que soit le crédit, c’est augmenter sa dette.
Fous de rage
Que s’est-il alors passé ?
Lors de l’audience en juin, nous avons eu la surprise de nous retrouver face à un avocat, qui représentait notre banque en argumentant que nous n’avions pas respecté le plan préconisé par la Banque de France. La juge fut surprise et fit remarquer que le plan n’avait pas encore été mis en place, et la requête du Trésor Public semblait contestable. Mais l’avocat en demanda l’annulation et notre condamnation. Le ciel nous tombait sur la tête, on n’était pas préparé à cela ! L’audience fut reportée, on est sorti du tribunal fou de rage, avec le sentiment d’avoir été piégé par notre propre bêtise et par la banque de surcroit.
Quel regard portiez-vous sur votre situation ?
Nous étions dedans, la tête baissée, des œillères et notre colère pour seul moteur. Nous ne savions plus quoi faire, si ce n’était se battre contre cet avocat qui venait nous trainer plus bas que terre, en public. Car à tout cela, il faut rajouter la honte (c’est une phrase qui m’a coûté cher, mais elle est réelle) de passer dans une salle d’audience en public, tout le monde est là avec ses problèmes, ses dettes. Il y a ceux qui vont passer, les avocats des sociétés de crédits, rarement ceux des endettés, vous n’arrivez pas à articuler deux mots, j’ai même vu des personnes se sentir mal au point de voir le juge leur proposer un siège pour s’asseoir.
Je ne remets pas en cause le travail des juges, bien au contraire. Je me mets à leur place et imagine la difficulté d’avoir à trancher dans de telles affaires, mais pour les personnes en surendettement, l’audience est une humiliation suprême, car pour un peu que l’avocat de la partie adverse soit là, comme ce fut notre cas à cette audience, vous en ressortez laminé, brisé et définitivement humilié. Et là, l’obstination se transforme en bêtise, car on voulait montrer à cet avocat que nous n’étions pas prêts à nous laisser anéantir, mais surtout qu’il avait tort.
Nous sommes restés droit dans nos bottes, en totale inconscience. J’ai décidé de lui écrire un courrier où je lui disais à quel point je trouvais honteux ce type d’agissements, et qu’il fallait qu’il comprenne que notre situation était suffisamment pénible et humiliante pour qu’il n’ait pas à en rajouter. J’en avais fait une copie au juge, et tout cela s’est retourné contre nous, car le magistrat s’est offusqué de la lettre. Il nous a jugé de mauvaise foi, en nous expliquant que ceci était une sanction à notre lettre, qu’on en demandait toujours plus, et que nous allions réellement en baver.
La maison mise aux enchères
Quel regard portent les gens sur vous ?
C’est difficile de répondre à une telle question. Nous nous investissons beaucoup dans la vie de la commune et on se masque en permanence le fait qu’un jour, l’échéance viendra où on nous prendra la maison. Nos amis nous soutiennent, bien sûr, même s’ils ne comprennent pas forcément ce combat. D’autant que nous sommes bien incapables de dire toute la vérité tant la honte nous submerge à chaque fois. On voit souvent dans les films, ces personnages que l’on jette à terre et qui finissent toujours par se redresser, le dos droit, le regard au loin, pour ne pas voir ceux qui nous toisent ou s’interrogent. J’ai l’impression de faire partie d’eux. Je garde toujours espoir, ne serait-ce que pour mes filles.
Comment vivez-vous votre situation jour après jour ?
Dans notre situation, l’ennemi c’est le facteur. De ma fenêtre je le vois déposer son courrier et chaque jour je passe plusieurs minutes à angoisser qu’il ne laisse un courrier du tribunal, d’un huissier ou d’un créancier. Lorsqu’il est passé, je vais toujours la main tremblante ouvrir la boite aux lettres et je prends fébrilement les enveloppes. Et puis il y a la sonnette, elle retentit chaque fois comme un coup de semonce, et avant d’ouvrir la porte, on croise les doigts pour que ce ne soit pas un huissier.
Quel chemin avez-vous parcouru tout au long de ces cinq années ?
Nous avons pris un avocat qui nous a aidé à avancer dans les différentes étapes de bagarre contre la banque et autour de notre dossier, pour faire reconnaître notre droit. On y était presque, jusqu’à ce que mon épouse baisse les bras et aille seule (sans nous concerter ni l’avocat, ni moi) à une audience de conciliation concernant la vente de la maison.
Cela faisait un an que nous l’avions mise en vente dans plusieurs agences, mais elle y est allée sans aucun justificatif, et ne put donc justifier d’une quelconque volonté de notre part de vendre la maison, renforçant ainsi le discours de l’avocat adverse, sur la nécessité de « sonner la fin de la récréation ». Le résultat fut sans appel : la maison sera vendue aux enchères.
Quels sont les moments les plus difficiles ?
Le passage devant les juges forcément, la violence des propos de l’avocat adverse, et cette espèce d’aptitude systématique à aller chercher les ennuis là où ils ne sont pas. Le plus dur, c’est que l’on n’a rien compris à ce qui nous arrivait. On a foncé tête baissée, on n’a pas su regarder ce qu’il se passait autour et on s’est enterré tout seul dans nos espoirs et notre naïveté.
Qu’est-ce que vous regrettez finalement ?
D’avoir acheté cette maison, d’avoir cru un seul instant qu’on allait s’en sortir.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Pour le moment, il faut qu’on trouve un logement avant le 5 mai, date de la vente aux enchères. Je veux protéger mes filles de tout ça, même si elles ont déjà compris à quel point la situation était grave. On joue au loto pour tenter d’imaginer que le hasard soit finalement notre sauveur, mais dans ce type de situation le hasard n’existe plus. Il reste seulement la colère pour avenir, celle d’avoir tout raté, d’avoir frappé à un nombre hallucinant de portes qui sont soit restées fermées, soit piégées.
Pensez-vous qu’un changement s’impose dans notre société ?
C’est une évidence. Les politiciens tentent maladroitement de trouver des solutions au surendettement, mais encore une fois, on travaille sur le fait de limiter les risques, avec des lois qui ne servent à rien, puisque la première cause du surendettement c’est l’inconscience des ménages. On a envie d’une vie meilleure, alors on fait tout pour l’obtenir, mais on ne se rend pas compte à quel point ce rêve est difficile. Et une fois que l’on est dans l’engrenage, la machine s’emballe à chaque fois.
Il suffit d’un obstacle pour que le train déraille. Il faut repenser l’analyse de ces dossiers, pour protéger le surendetté et le créancier, sans entretenir le déséquilibre, inscrire un cadre rigide qui ne laisse aucun droit à l’approximatif ou à l’interprétation, ce qui est le cas actuellement.
Où en est votre situation aujourd’hui ?
On tente encore une dernière fois de trouver un acquéreur pour la maison avant que celle-ci ne soit vendue aux enchères. Pour la suite, nous n’avons pas d’informations supplémentaires. J’essaie de retrouver un travail rapidement, car cela fait quatre mois que je suis au chômage. Nous avons fait une demande de logement social, mais les délais sont longs. Je continue d’essayer de trouver un millionnaire ou un milliardaire qui ne saurait pas quoi faire de son argent et qui verrait d’un bon œil le fait de nous aider. C’est tout ce qu’il me reste : l’utopie.