Installées dans un bel appartement de Hong Kong, Angie (Patra Au) et Pat (Maggie Li Lin Lin) vivent le parfait amour depuis plus de 30 ans. Inséparables, leur couple est un point de repère qui fédère leurs parents et leurs amis autour d’elles. Mais le monde d’Angie s’effondre lorsque Pat décède brusquement.
La place d’Angie au sein de la cellule familiale est alors rapidement remise en cause par les proches de la disparue. Sans testament ni preuve légale de leur union, Angie se voit contester jusqu’à sa présence dans l’appartement du couple désormais revendiqué par la famille de Pat.
Succession
Quatrième long métrage de Ray Yeung, Tout ira bien est inspiré par une conférence sur les droits de succession pour les couples homosexuels qui s’est tenue à Hong Kong en 2020. Dans les différentes prises de paroles, le cinéaste reconnait un leitmotiv : le rejet du partenaire survivant lorsqu’un décès sépare un couple homosexuel.
Une situation explorée ici à travers l’histoire fictive – mais inspirée de nombreux témoignages – d’un couple lesbien qui pose la question des droits de la communauté LGBTQ à Hong Kong. Lors de l’écriture du scénario, le débat fait en effet rage au sein de la société hongkongaise pour savoir si un mariage homosexuel célébré à l’étranger doit être reconnu par le gouvernement.
De façon plus large, Tout ira bien interroge la notion de famille. Que valent des années de vie commune face aux liens du sang ? Et, quand rien n’encadre légalement une relation, que reste-t-il à une personne endeuillée ? Des questions qui offrent au film un écho au-delà des droits LGBTQ dans lequel chacun peut se projeter.
Crime de lèse-majesté
Les héroïnes attachantes de Tout ira bien sont un couple de deux femmes d’un certain âge. Un choix mûrement réfléchi par le cinéaste qui souhaite mettre en avant des actrices incarnant en général à cet âge des rôles de mères ou grand-mères… Quand elles sont encore à l’écran ! Ray Yeung a dû faire sortir de sa retraite de 34 ans l’actrice de série télé Maggie Li Lin Lin pour le rôle de Pat. Une nouvelle preuve du désintérêt du milieu pour les actrices une fois un certain âge dépassé.
Mais l’idée de mettre en scène un couple de femmes s’est également imposée en toute logique. Si le couple était formé de deux hommes, l’ambiguïté aurait été réduite. Dans le cas de deux femmes comme Angie et Pat, même après 30 ans de vie commune, la situation laisse la voie libre à l’hypocrisie de l’entourage.
Alors que deux hommes vivant ensemble sont considérés par la société comme un couple gay, le cas de deux femmes est plus ambigu pour qui veut se voiler la face. Ainsi la partenaire est une « amie » ou une « sœur » pour mettre à distance la réalité de la relation amoureuse. Le couple lesbien met en avant cet aspect pervers d’une relation acceptée sous condition de taire sa réelle nature. Cette mise à distance prudente facilite le rejet dont est victime Angie lors du décès de Pat.
Mise à l’écart
Le choix d’un couple lesbien met également en lumière les coutumes traditionnelles chinoises assez homophobes et basées sur un modèle de société patriarcale. Ainsi Shing (Tai-Bo), le frère de Pat, prend les choses en main lors du décès de sa sœur. Il fait comprendre à Angie qu’elle n’a pas son mot à dire dans le choix de la sépulture de sa compagne et la relègue « naturellement » au second plan lors du rite funéraire. Des décisions qu’il impose en l’absence d’un testament laissé par Pat.
Cette brutalité symbolique n’est pourtant pas frontale. Tout ira bien joue la carte de l’abandon progressif, une lente dégradation de la relation entre Angie et la famille de sa compagne disparue. Ray Yeung a décidé de ne pas mettre en scène les cas les plus brutaux qui lui ont été confiés : de l’interdiction stricte de venir à l’enterrement au changement de clé soudain du domicile.
En diluant le degré de cruauté, le cinéaste invite chacun à se mettre à la place des membres de cette famille qui voient le spacieux appartement occupé par Pat et Angie comme une chance à saisir. Qu’ils soient déterminés ou gênés par leur propre revirement, ces différentes facettes du rejet invite à se poser la question sur notre propre réaction à leur place et notre part d’homophobie. Et d’une façon plus large à notre rapport à la primauté des liens de sang sur tout le reste.
Confrontant les liens familiaux à la relation amoureuse, Tout ira bien met en scène avec beaucoup de délicatesse le rejet soudain d’une lesbienne endeuillée après la fin dramatique de son couple. Une ode à l’amour lumineuse sur fond de droits LGBTQ qui touche d’autant plus qu’elle évite gracieusement le manichéisme et tend ainsi vers l’universel.
> Tout ira bien (Cong jin yihou) réalisé par Ray Yeung, Hong Kong, 2024 (1h33)