Un bouquin, ça vieillit bien ou mal ? La Maladie de Sachs, 27 ans plus tard

Un bouquin, ça vieillit bien ou mal ? La Maladie de Sachs, 27 ans plus tard

Un bouquin, ça vieillit bien ou mal ? La Maladie de Sachs, 27 ans plus tard

Un bouquin, ça vieillit bien ou mal ? La Maladie de Sachs, 27 ans plus tard
Prix du livre Inter 1998
  • 4 mars 2025

    Avec La Maladie de Sachs, Martin Winckler nous dresse, par petites touches impressionnistes, l'immense et foisonnant portrait du Docteur Sachs, médecin de campagne dévoué à ses patients. Le Docteur Sachs est un héros du quotidien, une espèce en voie de disparition, un humain profondément humain. Un coup de cœur. 

    Le quotidien d’un médecin de campagne

    La littérature contemporaine est foisonnante. Il y a des livres qui vieillissent mal, et d’autres promis à l’oubli. Prix du livre Inter en 1998, La Maladie de Sachs, qui raconte le quotidien d’un médecin de campagne, n’est pas de ceux-là. Pourtant, en trente ans, le paysage socio-médical a évolué. En mal, sans doute aucun. Les déserts médicaux se sont étendus, la santé se précarise encore et toujours. Réputation, vulgarisation scientifique : Internet, qui a un avis sur tout, a mis à mal la figure tutélaire du médecin sachant. De nombreux jeunes généralistes refusent de voir leur métier comme un sacerdoce, et qui pourrait leur en vouloir ?

    Qu’importe ! Le livre de Winckler est d’abord le récit d’une vocation. Un livre militant, qui veut que la médecine reste cet artisanat, ce travail d’orfèvrerie qui implique de prendre le temps. Le temps d’écouter l’autre, de rassurer, décrypter les angoisses et les colères, faire émerger l’implicite. Dans les campagnes taiseuses et dures au mal, les émotions, parfois embarrassantes, sont déversées chez le généraliste comme on allait autrefois à confesse. Loin de la rentabilité exigée pour absorber toujours plus de patients dans des conditions toujours plus dégradées.

    La narration est ici originale. Ce sont les patients et l’entourage du Docteur Sachs qui le racontent, en usant du « tu ». Une familiarité qui peut déconcerter, mais dresse un portrait en creux efficace d’un homme que la médecine habite et dévore. Les kilomètres avalés aux quatre coins du canton, les nuits blanches et la solitude, c’est le quotidien du Docteur Sachs. La campagne est rude, et ses habitants durs au mal. La patiente, et la mission, annoncer la mort et sauver, bien trop grande pour un seul homme.

    Qu’on se le dise : la médecine de campagne, avant l’informatique et la rationalisation, a des allures d’épopée zolienne. L’homme est pudique, mais il a les mots justes pour dire l’indicible et en même temps ne pas tuer tout à fait l’espoir même lorsqu’il n’est qu’illusion. Il y a toute cette misère qui fait qu’on n’a pas les mots pour dire qu’on va mal, et un jour on en finit, simplement et en silence, et c’est le médecin, encore, qui vous retrouve pendu un matin pluvieux d’automne, corps au bout d’une corde, balloté par le vent comme les épouvantails des champs, pantalon souillé et lèvres bleuies dans une face de craie. Le Docteur Sachs en est malade, de cette vie où il n’y a pas de miracles, malade de la maladie, ravageuse, protéiforme, qui ne lui laisse aucun répit. Rageusement, il consigne son vague à l’âme, son désespoir et son impuissance dans un carnet. Un jour, il ne sera plus seul. Il y a Pauline, qui lira religieusement ses écrits. Pauline et l’amour, qui lui redonnent quelques couleurs de vie.

    Un coup de cœur

    Qu’est-ce qu’un coup de cœur littéraire? Des mots et des histoires qui trouvent en nous un écho singulier. Hautement subjectif, donc. On trouvera sur La maladie de Sachs, adaptée au cinéma en 1999 avec Dupontel, des avis contrastés. Dans l’ombre du Docteur Sachs, il y a mon père, et ce que j’en raconte dans le manuscrit qui me poursuit depuis tant d’années, et qu’un jour il faudra finir.

    « Oui, mon père a l’humain chevillé au corps. Si bien introduit au sein des familles des autres, il ne prend pas le temps de se matérialiser dans la sienne. Il ne prend pas le temps de voir que je grandis trop vite, moi aussi si solitaire, que je me veux silencieuse, cachée, transparente. Mon père est une ombre qui ne saura pas me soigner ma nuit et de mes monstres ».

    La Maladie de Sachs de Martin Winckler

    672 pages
    Date de publication
    23 juin 2005
    Éditeur
    Gallimard
    Page du livre sur le site de l’éditeur