« Un été comme ça », filles, sexe and sun

« Un été comme ça », filles, sexe and sun

« Un été comme ça », filles, sexe and sun

« Un été comme ça », filles, sexe and sun

Au cinéma le 27 juillet 2022

Invitées en maison de repos pendant un mois, trois femmes tentent d'appréhender leurs démons intimes les poussant à une consommation effrénée de sexe. Évitant habilement le regard masculin sur une sexualité féminine libérée, Un été comme ça est un instant suspendu assumant n'avoir ni trame ni conclusion pour inviter à l'introspection. L'aspect thérapeutique du sujet est volontairement éludé pour opposer à notre regard voyeur notre conception morale de la « normalité » sexuelle.

Geisha (Aude Mathieu), travailleuse du sexe à l’appétit sexuel démesuré, Léonie (Larissa Corriveau), exploratrice de pratiques extrêmes, et Eugénie (Laure Giappiconi), assaillie en permanence de pensées érotiques, sont invitées à passer 26 jours en maison de repos.

Sous la supervision d’Octavia (Anne Ratte-Polle), une thérapeute allemande, et  Sami (Samir Guesmi), un travailleur social, elles bénéficient d’un environnement bienveillant pour faire le point sur leur vie en dehors des relations charnelles et envisager un changement dans leurs pratiques.

Un été comme ça © photo Lou Scamble / Shellac

Let’s talk about sex

Ce nouveau projet du réalisateur Denis Côté est né de la constatation de la relative absence de sexe dans le cinéma québécois. Du moins d’une sexualité qui s’assume à l’écran en étant au cœur du propos. Une pudeur que le cinéaste ne s’explique pas et qu’il cherche ici à dépasser.

Pour évoquer la sexualité féminine – décomplexée qui plus est -, Denis Côté s’est entouré de regards féminins. Il a notamment fait appel à des sexologues qui ont participé au scénario au fur et à mesure de sa conception. Un parti pris qui permet au film d’éviter habilement l’omniprésent « male gaze » qui aurait pu troubler l’univers féminin voulu par le projet.

Un été comme ça explore sans filtre des envies dictées par dépendance dévorante. Un portrait frontal d’une sexualité sur le fil, à la fois décomplexée et désabusée. Un sujet d’autant plus tabou qu’il s’agit de sexualité féminine.

Un été comme ça © photo Lou Scamble / Shellac

Girls just wanna have fun

« Film de sexe salement calme » selon la définition de Denis Côté, Un été comme ça imagine une thérapie douce dans une maison isolée. Une expérience menée par deux universités qui unissent leurs efforts pour offrir un espace bienveillant à ces femmes à la sexualité hors de la norme sociétale.

Le réalisateur en convient, la situation est assez improbable, d’autant plus avec la présence d’un homme dans l’expérience. Mais cette situation est un prétexte assumé pour libérer l’expression de sexualités déviantes – au sens de non conventionnelles – rarement exprimées, aussi bien dans la société que sur grand écran.

Avec d’autres intentions, Un été comme ça est un miroir partiel de Shame (2011) dans lequel Steve McQueen interrogeait l’intimité pour le moins mouvementée de Michael Fassbender. Dans la galerie relativement peu fournie de la sexualité féminine sur les écrans, le personnage d’Eugénie s’affirme comme une cousine plus sombre de Marnie interprétée par Charly Clive dans la réjouissante série Pure (2019). Toutes deux doivent en effet faire face à des pensées et images inavouables qui s’imposent à elles en permanence.

Un été comme ça © photo Lou Scamble / Shellac

Safe place

Au fil de cette expérience qu’elles acceptent sans grande conviction, les trois jeunes femmes expriment par leurs paroles et leurs actes une sexualité féminine exaltée qui laisse parfois place à de profondes blessures. Ce sujet des abus qui a envahi l’espace public depuis la révolution MeToo témoigne ici d’une expérience glaçante.

Cette « pause sexuelle » – au final toute relative – permet aux cicatrices laissées par des expériences traumatisantes de s’exprimer dans un cadre neutre, sans jugement. Mais il ne faudrait surtout pas prendre les trajectoires des trois femmes – notamment Léonie au passé le plus dramatique – comme une étude clinique ou sociologique visant à expliquer leur sexualité actuelle en plongeant dans leur passé.

L’espace expérimental offert à Geisha, Léonie et Eugénie est justement sécurisé car il n’utilise pas ces outils thérapeutiques. Le réalisateur prend ainsi volontairement ses distances avec ce qu’il nomme des « cas sociaux », la science ou encore l’histoire. Son pari est d’ausculter l’intime à travers des personnages complexes en tenant à distance l’aspect médical ou thérapeutique pour ne pas conceptualiser le propos.

Un été comme ça © photo Lou Scamble / Shellac

Sexual healing

À travers les parcours cabossés des trois jeunes femmes, Un été comme ça peut paraître comme un catalogue des pratiques « hard » – du gang bang au sadomasochisme – un peu trop exhaustif pour être honnête. Pour contrer cet aspect, elles sont abordées de manière frontale. Sans filtre, la parole – parfois douloureuse lorsqu’elle fait état de violences sexuelles – évite ainsi une instrumentalisation sensationnaliste.

Dans ce maelstrom de tensions sexuelles, Octavia et Sami incarnent une autorité à la fois castratrice et réconfortante par son écoute bienveillante. Les deux encadrants symbolisent à la fois une certaine stabilité, une possibilité de repère pour les jeunes femmes, et une connivence rassurante pour le.la spectateur.trice. Une stabilité de surface que Denis Côté prend un malin plaisir à ébranler.

Même si le terme n’est jamais évoqué, l’espoir d’une éventuelle guérison plane sur le film. Comme si les trois jeunes femmes devaient être « réparées ». Mais en bousculant Octavia et Sami, Un été comme ça fait trembler la norme salvatrice. Et notre regard est renvoyé à ses incontournables jugements moraux.

Un été comme ça © photo Lou Scamble / Shellac

A fuckin’ problem?

Quitte à être déroutant, Un été comme ça a l’avantage d’assumer jusqu’au bout son parti pris. Les 26 jours de cette retraite se déroulent à l’écran en respectant un rythme lent, permettant les confidences. Ce moment suspendu se refuse à donner des réponses, pour les trois femmes, les deux encadrants mais aussi les spectateurs.trices.

Si elle peut être frustrante pour beaucoup, cette absence assumée de grande révélation finale qui interdit toute lecture clinique renvoie à la complexité d’un désir sexuel multiple. Comme les trois femmes, nous sommes renvoyés à notre propre grille de lecture face à ces appétits dévorants, étonnants voire inquiétants. Et les contradictions de Sami et Octavia ne font que renforcer ce sentiment de flottement.

Et si cette drôle d’expérience n’avait au final pas de sens ? Potentiellement choquantes pour certain.e.s et pouvant s’analyser comme des exutoires, les pratiques des trois femmes se déroulent après tout entre adultes consentants. Si le périple éclaire certaines cicatrices, savoir si leur façon de vivre leur sexualité doit être considérée comme anormale ou un « problème » reste en suspens. Et devoir y répondre est d’autant plus intéressant que cela nécessite une introspection personnelle.

Un été comme ça © photo Lou Scamble / Shellac

Thérapie de groupe interdisant toute lecture médicale, Un été comme ça déballe frontalement des sexualités féminines hors normes qui trouvent ici un écrin bienveillant pour s’exprimer. La libération d’une parole peu entendue, à la fois choquante et salvatrice. Une mise à nue frontale qui ne cherche pas à trouver du sens en dehors de celui que l’on veut bien lui prêter.

> Un été comme ça, réalisé par Denis Côté, Canada, 2022 (2h17)

Un été comme ça

Date de sortie
27 juillet 2022
Durée
2h17
Réalisé par
Denis Côté
Avec
Larissa Corriveau, Laure Giappiconi, Aude Mathieu, Anne Ratte-Polle, Samir Guesmi
Pays
Canada