« Un parfait inconnu », genèse d’un mythe électrisant

« Un parfait inconnu », genèse d’un mythe électrisant

« Un parfait inconnu », genèse d’un mythe électrisant

« Un parfait inconnu », genèse d’un mythe électrisant

Au cinéma le 29 janvier 2025

Au début des années 60, Bob Dylan, 19 ans, débarque à New York. Sur place, il s'impose progressivement comme une figure incontournable du mouvement folk, repoussant les limites imposées. Porté par un Timothée Chalamet habité, Un parfait inconnu raconte avec panache l'éclosion d'un talent hors normes sans rien ôter à son aura mystérieuse. Un biopic où le génie reste énigmatique dans l'ombre d'une musique devenue classique, magnifiquement mise en avant.

En ce début des années 60, les habitants de West Village à New York voient débarquer un jeune musicien de 19 ans avec sa guitare en bandoulière. Provenant de son Minnesota natal, Bob Dylan (Timothée Chalamet), de son vrai nom Robert Zimmerman, rêve de dire toute son admiration au chanteur Woody Guthrie (Scoot McNairy). Alors qu’il se rend à l’hôpital pour rencontrer son idole gravement malade, Bob Dylan fait la rencontre de son ami Pete Seeger (Edward Norton), autre chanteur folk célèbre.

Impressionné par le talent du jeune homme, Pete Seeger inclut Bob Dylan dans l’effervescente scène musicale de l’époque. De scène en scène, le chanteur débutant côtoie les artistes du moment : Johnny Cash (Boyd Holbrook) mais aussi Joan Baez (Monica Barbaro) avec qui il entame une romance contrariée, au grand désespoir de sa petite amie Sylvie Russo (Elle Fanning).

Bob Dylan s’affirme rapidement comme un chanteur incontournable de la scène folk contestataire. Mais avec la gloire vient la pression d’un mouvement et d’une industrie qui possèdent leurs propres règles. Refusant d’être mis dans une case, le jeune musicien choisit la liberté qui guide ses compositions devenues incontournables.

Un parfait inconnu © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved.

La constellation Dylan

Réalisateur éclectique, James Mangold a notamment signé Logan (2017), un enterrement crépusculaire pour Wolverine, le vrombissant Le Mans ’66 (2019) ou encore Indiana Jones et le Cadran de la destinée (2023), dernière aventure en date de l’archéologue préféré des cinéphiles. Avec Un parfait inconnu, il plonge à nouveau dans l’histoire de la musique américaine après son biopic Walk the Line (2005) dans lequel le caméléon Joaquin Phoenix incarnait le ténébreux Johnny Cash.

Ce nouveau projet vient s’ajouter à la masse de films et documentaires consacrés au premier chanteur à avoir reçu le prix Nobel de littérature en 2016. Mais est-il seulement possible de capturer sur pellicule l’essence de Bob Dylan ? Côté documentaire, le patron Martin Scorsese se frotte à la légende avec No Direction Home: Bob Dylan (2005) et plus récemment Rolling Thunder Revue: A Bob Dylan Story (2019). Des films documentaires qui, à l’instar de Dont Look Back (1967) de D.A. Pennebaker, ne font au final que renforcer le mythe Dylan, savamment entretenu par l’artiste lui-même.

À ce jeu de la représentation de l’artiste sur grand écran, Todd Haynes à qui l’on doit notamment Velvet Goldmine (1998), Le musée des merveilles (2017) – lire notre critique – et le troublant May December (2023) – lire notre critique, a choisi le kaléidoscope. Contrairement à son documentaire sur le Velvet Underground, I’m Not There (2007) est une fiction à sketches qui célèbre le statut énigmatique du chanteur. Il y est incarné notamment par Christian Bale, Cate Blanchett et Bob Dylan lui-même ! Une véritable ode à l’ampleur d’un personnage au mystère décidément insondable.

Un parfait inconnu © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved.

Concessions intimes

Comparé au film de Todd Haynes, le biopic de James Mangold est un projet bien plus conventionnel, dans la forme et le propos. Plus grand public et facile d’accès, sans que cette qualification soit un reproche d’aucune sorte. Il s’agit en effet de rejouer la naissance de Dylan, du moins son éclosion en tant qu’artiste aux yeux du monde. Mais que les adeptes du musicien se rassurent, cette genèse ne vient pas pour autant totalement dissiper le brouillard de mystère qui entoure Bob Dylan.

De son admiration touchante pour Woody Guthrie, hospitalisé à cause de la maladie de Huntington qui finira par l’emporter à 55 ans seulement, à ses amours partagés entre Sylvie Russo et Joan Baez, Un parfait inconnu livre quelques clés intimes sur le chanteur. Au-delà de ces sentiments qui le rendent imparfaitement humain, le biopic de James Mangold ne fait que quelques concessions à notre voyeurisme avide de mystère révélé.

Car, sur le fond, le réalisateur ne semble pas intéressé par cette révélation d’une vérité qui semble de toute façon inatteignable. Ou peut-être se résout-il, comme d’autres avant lui, à accepter que le bunker Dylan est trop fortifié pour oser l’attaquer. Expliquer ne serait-il pas au final désacraliser ? C’est alors la musique de Bob Dylan qui ressort et d’une fort belle manière.

Un parfait inconnu © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved.

Donner de la voix

À défaut de décortiquer le processus créatif et les inspirations du génie de Dylan, Un parfait inconnu met en scène l’admiration devant sa foisonnante production. Le biopic de James Mangold facilite cette position de spectateur d’un mythe en construction en insufflant un réalisme minimaliste en phase avec le mouvement folk. Pour certains, la musique folk c’est un homme (parfois une femme) et une guitare ! Une définition trop réactionnaire pour Dylan qu’il ne tardera pas à faire exploser en vol.

Le plaisir devant Un parfait inconnu provient en grande partie de l’implication des acteurs qui interprètent eux même les chansons du film. Au point que la BO du film ne comprend que des reprises et aucun titre original avec la voix de Dylan. Un pari risqué mais qui fonctionne tant Timothée Chalamet qui s’est préparé plusieurs années pour le rôle interprète avec une grande justesse la voix parfois raillée pour son ton nasillard de Dylan sans le caricaturer. Une prestation qui laisse sans voix qui lui vaut une nomination pour l’Oscar du meilleur acteur.

En se débarrassant du playback, Un parfait inconnu met en avant la musique de Dylan, Baez, Cash et les autres avec un naturel confondant. Au final, c’est bien la musique, célébrée à travers des morceaux souvent joués quasiment dans leur intégralité, qui prend le devant de la scène. Dans l’incapacité de percer le mystère Dylan, même en tant que musicien débutant, c’est son génie de compositeur qui est célébré. Difficile de ne pas vibrer et s’émerveiller devant la mise en scène malicieuse de la genèse de son titre le plus emblématique Like a Rolling Stone qui inspire le titre du film.

Un parfait inconnu © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved.

Sans étiquette

La musique au cœur, James Mangold prouve à nouveau sa capacité à mener avec brio un biopic musical. Après Walk The Line, le réalisateur célèbre Bob Dylan en ravivant l’aspect moderne de cette musique folk des années 60. Avec une certaine ironie, Un parfait inconnu honore cette musique contestataire tout en pointant du doigt un certain sectarisme. Alors que Bob Dylan devient une vedette critiquant armée et gouvernement dans la grande tradition du genre, le débat de ce qui est folk ou non fait rage.

Ainsi les gardiens du temple, dont fait partie son ami Pete Seeger, plaident pour la forme la plus épurée de cette musique. Acoustique, sinon rien ! Mais le jeune Bob Dylan ne l’entend pas de cette oreille. Il provoque en jouant dans un festival folk renommé avec des guitares électriques insolentes. Un véritable scandale qui sème l’anarchie dans ce qui est l’une des scènes les plus réjouissantes du film. Avec le recul, ce qui est alors vécu comme un blasphème, parfait ridiculement comique, d’autant plus pour une musique qui se dit contestataire.

Au-delà du décalage entre la liberté prônée par le mouvement folk et ses crispations internes, l’incapacité à se détacher d’une « pureté » décrétée est troublante. Une injonction que le rebelle sans étiquette Dylan fait évidemment voler en éclat. Un choix de visionnaire, ou tout simplement d’une jeunesse libre. À l’image de ce biopic parfaitement électrisant !

Un parfait inconnu © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved.

Dans les premiers pas du mythe Dylan dans l’industrie musicale, Un parfait inconnu charme pour la sincérité de sa vision. Tournant le dos à l’ambition – impossible ? – de percer le mystère du chanteur, le biopic de James Mangold célèbre son génie et sa liberté à travers des prestations à l’image de leurs cordes vocales, vibrantes.

> Un parfait inconnu (A Complete Unknown) réalisé par James Mangold, États-Unis, 2023 (2h20)

Un parfait inconnu (A Complete Unknown)

Date de sortie
29 janvier 2025
Durée
2h20
Réalisé par
James Mangold
Avec
Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Boyd Holbrook, Scoot McNairy
Pays
États-Unis