Comédien sans projets, Étienne (Kad Merad) se voit proposer par un ami un travail surprenant pour boucler ses fins de mois. L’animation d’un atelier théâtre avec des détenus au sein d’une prison.
Alors qu’il n’attend pas grand chose de cette mission, Étienne découvre chez les détenus de vrais talents de comédiens. Au point d’envisager de monter une pièce avec eux. Et pas n’importe quelle pièce de théâtre : En attendant Godot de Samuel Beckett.
Alors que les répétitions avancent, le chef de la petite troupe carcérale tente de convaincre Ariane (Marina Hands), la directrice de la prison, d’envisager une représentation dans un vrai théâtre. En dehors de l’enceinte de la prison, dans le monde libre.
Inspiré de faits surréalistes
Le nouveau film d’Emmanuel Courcol, ancien acteur de théâtre devenu réalisateur, est directement inspiré d’un fait divers survenu dans les années 80. Il y a quelques années, Marc Bordure, son producteur, lui fait découvrir un documentaire relatant le parcours pour le moins atypique de Jan Jönson, un metteur en scène suédois.
En 1985, Jan Jönson monte la pièce En attendant Godot avec des détenus dans la prison de haute sécurité de Kumla en Suède. Contre toute attente, le spectacle est un véritable succès. Au point que les détenus partent en tournée pour une série de représentations de la pièce de Samuel Beckett. L’aventure connaîtra un épilogue tonitruant alors que la pièce devait être jouée au théâtre Royal de Göteborg.
Cette expérience unique marque à jamais Jan Jönson qui devient ami avec Samuel Beckett pendant l’aventure. Quelques années plus tard, le metteur en scène suédois remontera même la pièce En attendant Godot aux États-Unis, à la prison de San Quentin en Californie.
Adapter sans dénaturer
Dans un premier temps, Emmanuel Courcol ne sait pas vraiment comment traiter cette histoire. Il souhaite l’adapter en transposant les faits dans la France contemporaine mais le texte de Samuel Beckett lui paraît trop difficile d’accès pour la comédie populaire qu’il a en tête.
Et si l’action se déroulait dans un autre domaine ? La musique, le chant ou encore la danse, par exemple… Et avec des détenues plutôt que des hommes ? À vouloir trop moderniser l’expérience vécue par le metteur en scène suédois, le scénariste se retrouve rapidement dans une impasse scénaristique.
Ce n’est qu’en 2016, après avoir écrit et réalisé Cessez-le-feu (2016) – lire notre critique -, que le réalisateur revient au projet. Il décide de rester beaucoup plus fidèle au fait divers d’origine. Première évidence : conserver la pièce En attendant Godot.
Comme on le comprend très vite dans Un triomphe, l’œuvre de Beckett résonne avec force pour les prisonniers. Quoi de plus parlant que le vide, l’absence et le désœuvrement pour ces hommes enfermés entre quatre murs ? Et ce fameux Godot, personnage qui ne vient jamais, merveilleux symbole d’attentes déçues.
Prendre le pouls carcéral
Pour transposer l’expérience suédoise des années 80 dans la France contemporaine, Emmanuel Courcol s’est immergé dans l’univers carcéral hexagonal. Cette approche documentaire permet au film d’éviter certains des écueils habituels sur les prisons.
Le cinéaste a notamment été en contact avec Irène Muscari, coordinatrice culturelle du Centre Pénitentiaire de Meaux. Alors qu’il prépare le scénario du film, il réalise un documentaire sur la création de Douze cordes, un projet mêlant opéra hip-hop, danse et boxe destiné à la MC93 de Bobigny. Un jour par semaine, pendant six mois, le réalisateur a pu ainsi observer les rouages d’une prison.
Ces diverses expériences sont venues enrichir et parfois modifier le scénario en cours d’écriture. Un triomphe décrit un univers carcéral crédible dans lequel Étienne se heurte au règlement pour mener à bien son projet. Cette justesse documentaire mêlée à la possibilité offerte aux comédiens d’improviser donne à cette comédie une fraîcheur séduisante.
À peine évoquée
Un triomphe est une comédie sociale qui assume son aspect humaniste. Emmanuel Courcol s’intéresse d’abord aux individus en restant assez évasif concernant les faits qui les ont menés en prison. À l’exception de Moussa (Wabinlé Nabié) qui dévoile avoir tué accidentellement quelqu’un lors d’une bagarre qui a mal tourné dans un squat, les détails des méfaits de ses camarades restent assez mystérieux.
Entre les lignes de dialogues, on comprend qu’il y a dans la pièce un voleur, un arnaqueur, un braqueur ou encore un dealeur. Tous sur le point d’avoir purgé leur peine. Ce flou sur la gravité des actes commis invite à considérer le détenu à travers sa pratique artistique. Chacun existe avant tout par son rapport à l’incarnation d’un personnage de la pièce.
À travers les répétitions, chacun se réinvente pour un instant et le cinéaste nous invite à considérer l’individu dans le moment présent. Miraculeusement débarrassé de ses fautes passées, l’individu peut se projeter dans une représentation future. Sur une scène symbole de liberté, même si elle n’est que temporaire.
Human after all
Si Un triomphe célèbre la pratique culturelle comme échappatoire à l’enfermement, le film reste assez lucide pour ne pas en faire le remède miracle à une réinsertion réussie. Parce qu’il l’a vécu auprès de détenus, Emmanuel Courcol évoque notamment le cruel retour à la réalité de l’enfermement après une représentation.
Le cinéaste a également conservé l’incroyable mais bien réel dénouement de l’expérience suédoise – qui ne sera pas révélé ici – qui remet en perspective l’ensemble de l’aventure. Un triomphe est également un film humaniste car il ne cherche pas à gommer artificiellement les failles de ses protagonistes.
Chaque détenu a une raison bien particulière pour s’engager dans cette incroyable aventure théâtrale. Une motivation parfois plus ambiguë que prévu. Celle d’Étienne n’est pas sans zone d’ombres. Si l’acteur se réjouit des progrès de ses protégés, il est aussi rongé par un manque de reconnaissance qui le pousse à mener l’expérience jusqu’au bout. Ces nuances très humaines rendent cette troupe hétéroclite très attachante.
Basé sur un étonnant fait divers suédois des années 80, Un triomphe réussit une transposition crédible de l’aventure dans le milieu carcéral français contemporain. La vision humaniste et très documentée adoptée par Emmanuel Courcol fait de cette comédie sociale une jolie surprise qui amuse, émeut et étonne par un dénouement à l’image de l’âme humaine, imprévisible.
> Un triomphe réalisé par Emmanuel Courcol, France, 2020 (1h45)