Sur le trajet du retour à la maison après un nouveau vol à l’étalage, Osamu (Lily Franky) et son fils Shota (Jyo Kairi) recueillent une petite fille (Miyu Sasaki) qui semble avoir été abandonnée sur le balcon de son appartement. Dans un premier temps réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, Nobuyo (Sakura Andô), la femme d’Osamu, accepte de s’occuper d’elle lorsqu’elle découvre des marques inquiétantes sur le corps de la petite fille.
La jeune Yuri est immédiatement officieusement adoptée par cette petite famille qui compte également parmi ses membres la grand-mère Hatsue (Kiki Kirin) et sa petite-fille Aki (Mayu Matsuoka). En dépit de leur pauvreté, les Shibita semblent heureux malgré les boulots peu payés et les vols pour arriver à joindre les deux bouts. Mais un incident imprévu met la police sur la piste de la jeune Yuri et les terribles secrets de cette famille peu conventionnelle explose au grand jour.
Famille en kit
En s’inspirant de faits réels comme il l’avait notamment fait pour son film le plus célèbre Nobody knows (2004), Hirokazu Kore-eda continue d’explorer la thématique de la famille en s’intéressant cette fois-ci aux liens qui peuvent unir les personnes n’ayant pourtant aucun réel lien de parenté.
Contrairement aux apparences, la jeune Yuri n’est pas la seule pièce rapportée de cette famille regroupée autour de la figure centrale de la grand-mère qui possède la maison mais y vit seule — officiellement. Entre petits boulots, magouilles et vol à l’étalage — un art délicat que Shota a appris de son « père » et inculque à sa nouvelle « petite sœur » —, la petite communauté vit paisiblement, tant qu’elle passe sous le radar des autorités et que la réelle identité de Yuri n’est pas dévoilée.
La nature particulière de la famille Shibati n’est révélée que partiellement et au fur et à mesure au spectateur qui ressent alors que les liens de parenté revendiqués ou fantasmés par ses membres ne sont probablement pas tous « officiels ». Mais ce n’est que lors de la seconde partie du film que la vérité explose au grand jour. Tout part d’un incident qui attire l’attention de la police sur Shota et par répercussion sur l’identité de Yuri.
Soudainement, les règles de la société s’immiscent au sein de la famille pour nous rappeler ses crimes, dévoiler les personnalités et requalifier l’adoption bienveillante de Yuri en enlèvement d’enfant. Le passé, parfois sombre, de certains membres et leurs intérêts personnels à vivre tous ensemble sont alors mis à jour.
Ces révélations mettent en perspective ce que l’on pensait savoir sur les personnages mais le mal est fait : le spectateur s’est déjà attaché à cette étrange famille. L’explosion de la cellule familiale alors que ses secrets sont découverts font de ce nouveau film de Kore-eda l’une de ses œuvres les plus complexes. Le cinéaste y oppose les règles internes d’une petite communauté familiale avec celles — forcément plus rigides — d’une société incapable de saisir les nuances d’une situation exceptionnelle.
Capter l’émotion
La poésie propre au cinéma de Kore-eda est de nouveau présente dans Une affaire de famille avec cette simplicité et cette justesse qui prouvent qu’un scénario bavard n’est pas nécessaire pour créer l’émotion. Les exemples sont nombreux comme cette scène où la famille, les yeux levés au ciel, fantasme un feu d’artifice qu’ils ne font qu’entendre.
Le lien étonnant qui se tisse entre Aki et un client anonyme d’un peep show — où elle va « secouer ses seins » comme le fait remarquer son espiègle grand-mère — est une autre intrusion de tendresse inattendue dans un milieu glauque. La grâce du cinéaste japonais consiste à insuffler ce décalage poétique au milieu d’une pauvreté — monétaire ou sentimentale — qui n’est jamais pathétique.
L’incroyable justesse qui se dégage de ce nouveau film du cinéaste japonais est le fruit d’un casting irréprochable sublimé par une direction d’acteur qui se permet le risque de l’improvisation. Ainsi, Sakura Andô qui interprète la mère livre une scène poignante dans laquelle elle répond à des questions qui ont été notées au dernier moment par le réalisateur sur des cartons pour préserver l’effet de surprise et la tension de la scène.
Pour les deux jeunes acteurs interprétant Shota et Yuki, Hirokazu Kore-eda est même allé plus loin en les privant de scénario : une façon de faire radicale dont il use en général avec les enfants. Chaque scène leur était expliquée avec son contexte juste avant le tournage pour mieux capter un naturel qui irradie tout au long du film. Le résultat est une œuvre à fleur de peau, bouleversante.
Récompensé par une Palme d’Or évidente lors du dernier Festival de Cannes, Une affaire de famille continue l’exploration des liens familiaux chers au cinéaste à travers l’histoire d’une famille dont les membres se sont choisis. Une réflexion subtile et bouleversante sur la parenté et ce qui lie les êtres entre eux, qu’ils partagent ou non le même sang.
> Une affaire de famille (Manbiki kazoku), réalisé par Hirokazu Kore-eda, Japon, 2018 (2h01)