Il aura bientôt 30 ans. La silhouette est toujours aussi élancée et longiligne. Presque trois décennies de danses, de sauts, de rondes, de déploiement d’un dynamisme communicateur, et l’homme en blanc, ou corps blanc, est toujours en forme. Il le doit à son père, Jérôme Mesnager. Lui vient de fêter ses cinquante ans. L’homme chaleureux et souriant nous claque deux bises de bienvenue. Il avalera des bonbons Haribo durant la totalité de notre rencontre. Elle a lieu à la galerie Caplain-Matignon, dans le VIIIe arrondissement à Paris.
Depuis le 3 février, celle-ci expose l’artiste "Corps Blancs, morceaux choisis". « Je l’ai laissée choisir les œuvres à l’atelier. C’est son lieu. Elle [Sophie Litras, directrice artistique de la galerie, ndlr] peut composer son expo comme on compose un bouquet de fleurs. » Sur chaque mur se découpent les muscles arrondis et la chair blanche du Corps blanc. Toile, métal, bois, tous les supports sont bons. « Dans la rue, je choisis un mur parce qu’il me plaît. C’est pareil pour tous les supports. »
Dans la galerie et dans la rue
Curieux du moindre mouvement, du moindre bruit, des portes qui s’ouvrent, téléphones qui sonnent et des personnes aux alentours, Jérôme Mesnager y est, mais pas comme on le voudrait. L’entretien migre à l’étage de la galerie. Une dizaine de Dragibus et quelques fraises Tagada dans la main, il est prêt à poursuivre.
Si le Corps blanc est actuellement en galerie, il est aussi très souvent dans la rue. « Mais j’ai d’abord commencé sur toiles dans les années 70. » Au début des années 80, l’artiste a envie de rues, de murs, d’aventures urbaines. Inspiré par des initiateurs, Ernest Pignon-Ernest et Gérard Zlotykamien, dont Mesnager a vu le travail, enfant, sur les palissades de Beaubourg et des Halles en construction. « J’ai aussi vécu proche de Jean-Pierre Le Boul’ch. La précision de ses pochoirs me fascinait. » En fait, ils vivaient dans le même immeuble, à Paris.
Paris, il connaît bien. Il y est arrivé à deux ans, avec ses parents et a grandi place de Clichy. En 1975, il intègre l’école Boulle où il suit des cours d’ébénisterie jusqu’en 1979. Passionné de bande dessinée, il prend des cours de dessins aux Arts appliqués. Il vend sa première toile au début des années 80 et en vit à la fin de la décennie. Son job alimentaire ? Professeur d’ébénisterie, de dessin et d’histoire de l’art.
Il a l’idée du groupe Zig-zag. « On investissait un quartier, un dimanche après-midi. Venait qui voulait, tous ceux qui avaient envie de participer. Le but était, tout d’un coup d’animer la rue avec un tas de créations et de repartir. » C’est à ce moment qu’est né le Corps blanc. « Je voulais un geste rapide à exécuter et qu’on reconnaisse de loin. Une marque. » Pinceau, pot de peinture blanche, il a emmené son Corps blanc partout, au fil de ses nombreux voyages, l’Inde, la Chine, les Etats-Unis, la Mauritanie… L’homme en blanc semble infatigable. Il est une empreinte qui parcourt le monde, tournoyant, gestes amples, le plus souvent tendu vers le ciel. « C’est un message universel. Il parle un langage que tout le monde comprend, c’est un message de liberté et de bonheur. »
Au tout début, ce n’était pas tout à fait ça. L’homme en blanc était plutôt là pour donner un peu de gaieté à des quartiers gris et tristes comme la Bastille ou Belleville. « Des quartiers en chantier de démolition. Mon bonhomme avait un sens qu’il n’a plus aujourd’hui. »
L’Homme blanc, un repère dans la ville
Maintenant, tout est rénové et c’est tout juste si Jérôme Mesnager arrive encore à trouver un pan de mur qui lui plaît assez pour y peindre le corps blanc. « Je suis toujours à la recherche de vieux murs. Ce sont eux qui m’intéressent. Parfois, je ne trouve rien. J’aime encore me promener, j’aime la ville mais certains endroits sont vraiment devenus moches. »
La ville change, se transforme. Le corps blanc, lui, a peu évolué. Parisien depuis 30 ans, il est un repère stable dans la jungle urbaine, en constante mutation. « C’est un peu comme avec les photos de Doisneau, de Willy Ronis. On reconnaît, on sait que c’est là, et pourtant, ça change. Le temps produit un effet très mystérieux. Mon bonhomme, lui est intemporel, il garde les souvenirs. Il possède une vraie magie. »
Et n’en a-t-il pas marre de toujours répéter le même geste ? Ne se lasse-t-il pas de ce corps, toujours si élancé, toujours si blanc, toujours si bondissant ? Entre deux fraises Tagada, Jérôme Mesnager, l’œil enfantin : « Non, j’ai toujours l’impression que c’est la première fois que je le peins. Il engendre un monde différent à chaque fois. »
L’homme en blanc n’est surtout pas un frein à sa recherche artistique. « Je fais aussi un travail sur les couleurs dans le tableau même. J’accroche des objets sur la toile, j’utilise des objets du quotidien en pochoir… Je crée une véritable atmosphère. » Il lui arrive aussi de ne pas le peindre. C’est assez rare puisqu’il s’impose malgré tout : « Je le vois avant de le peindre, comme une révélation ! »
Il aime être dans la rue, tout comme il adore être dans son atelier, à Montreuil, qu’il occupe depuis dix ans. Il aime s’inscrire sur les murs de la ville, tout comme il est très heureux d’exposer. « J’ai toujours fait les deux et c’est pareil pour moi. Tant qu’on fait passer le message qu’on a envie de faire passer, il n’y a aucune différence. Et puis cette vitrine est magnifique. Elle est éclairée la nuit, elle pète, on la voit de l’extérieur ! »
Etre vu
Etre vu, c’est ça qui est important ? « Un tableau est d’abord fait pour être vu, on ne force personne à acheter. Ce qui est important, c’est de créer une rencontre entre le passant et la peinture, créer un effet de surprise. Une chose est là un jour alors qu’elle n’était pas là la veille ! C’est une apparition. Et quand on est dans la rue, il y a aussi la disparition car une peinture a une existence éphémère dans la ville. Nouvel effet de surprise ! »
Décrit en pionnier du street art avec les Blek le Rat, Miss.Tic et autres Speedy Graphito, Jérôme Mesnager balaie le titre d’un revers de la main. « Pionnier, ça ne veut absolument rien dire. Surtout que le graffiti a toujours existé, ça n’a donc aucun sens. Et puis pionnier de quoi ? Le street art n’est pas un mouvement artistique. Aucun discours commun ne sous-tend la démarche des artistes du street art. »
Interrogé sur ses projets, il préfère parler de ceux passés. « Les projets, je n’en parle pas. On nous propose des trucs fantastiques et il n’y en a qu’un sur dix qui se réalise. Mieux vaut parler de ceux qui se sont réalisés comme ce projet à la Conciergerie. » Durant plusieurs jours, Jérôme Mesnager et l’homme en blanc ont présenté leurs vœux, sur la façade du monument parisien. Et qu’à cela ne tienne qu’ils accompagnent une publicité tout aussi gigantesque pour un téléphone portable. « Ce qui compte, c’est le carré avec la peinture. C’est fantastique qu’on nous offre de tels espaces. J’ai pu dire "bonne année" aux Parisiens et aussi aux copains ! »
Deux bises pour dire au revoir. Un macaron pistache pour la route. Jérôme Mesnager n’en a pas fini avec l’Homme blanc. Et c’est tant mieux !
> Jérôme Mesnager, Corps Blancs, morceaux choisis, peintures et objets. Du 3 février au 27 mars 2012. Galerie Caplain-Matignon, 29, avenue Matignon, 75 008 Paris.