Les capybaras s’invitent dans le poulailler
Direction l’Amérique latine pour le premier court métrage : L’arrivée des capybaras d’Alfredo Soderguit.
L’histoire nous plonge dans le quotidien paisible mais rigide d’une basse-cour. Sans dialogue mais avec une observation quasi documentaire, le film capture le rythme immuable de la ferme : le lever du soleil salué par le chant du coq, l’arrivée du fermier pour nourrir les volailles, ramasser les œufs et, parfois, amener les poules les moins productives vers une fin funeste. Tout semble réglé comme du papier à musique, jusqu’à l’arrivée inattendue d’une famille de capybaras, errante et sans abri.
Ces rongeurs, les plus grands du monde, ont récemment conquis la pop-culture. Mais ici, le réalisateur s’appuie sur la connotation locale du terme caprincho. En Amérique latine, ce mot désigne les plus démunis, ajoutant une dimension sociale à cette fable. Face à ces nouveaux venus, la basse-cour se regroupe d’abord dans une opposition unanime. Trop grands, trop différents : tout semble les séparer. Pourtant, un petit poussin curieux, symbole d’une innocence ouverte à la nouveauté, décide de briser les barrières.
La basse-cour s’unit d’abord contre cette famille, bien trop différente. Mais c’est sans compter sur le petit poussin, plus ouvert, qui y voit l’opportunité de se faire de nouveaux amis. Et si la différence physique et sociale pouvait être dépassée grâce à l’amitié et à l’entraide ? Ce court-métrage explore ce thème avec une simplicité émouvante.
L’absence de dialogue laisse place à un dessin délicat et expressif, renforçant l’universalité du message. À travers cette histoire touchante, Alfredo Soderguit parle d’immigration, de rejet de l’autre et de solidarité, des thèmes accessibles aux enfants et riches de résonances pour les adultes.
Rencontre nocturne
Après la lumière chaleureuse et colorée de l’Amérique latine, Les Bottes de la nuit de Pierre-Luc Granjon nous transporte dans un univers plus mystérieux et feutré. Sans transition narrative marquée, ce passage du jour à la nuit peut dérouter, mais il offre une plongée fascinante dans un monde entièrement en noir et blanc.
Le court-métrage nous invite à une exploration onirique au cœur d’une forêt où un petit garçon croise la route d’un « monstre » pas si effrayant. Une vie nocturne magique s’offre à nous, le petit monstre, habituellement seul, est heureux de se faire un nouvel ami. Sans filtre social, il est franc et drôle. Il guide le petit garçon et lui propose des expériences et rencontres inédites.
L’idée même de monstre, renforcée par l’absence de couleurs et une ambiance presque inquiétante, évoque d’abord une peur latente. Pourtant, cette appréhension s’efface rapidement à mesure que le spectateur découvre un compagnon sincère et attachant. Habitué à la solitude, le petit monstre accueille l’enfant avec une joie désarmante et l’embarque dans une série d’expériences nocturnes empreintes de magie et de poésie. La nuit, d’ordinaire perçue comme hostile, devient un terrain d’aventures et de rencontres inédites, où l’amitié transcende les apparences.
La magie de ce court-métrage ne réside pas seulement dans son récit, mais surtout dans la technique unique qui lui donne vie : l’écran d’épingles. Peu connue et rarement utilisée, cette méthode d’animation est une véritable prouesse artistique. À l’aide de l’Épinette, une planche percée de 270 000 trous dans lesquels sont insérées des épingles noires, l’artiste crée des reliefs subtils et des ombres délicates, illuminées par un jeu de lumière. Chaque image, patiemment photographiée et animée à raison de 24 images par seconde, donne une texture envoûtante à ce monde nocturne.
Pour les amateurs d’art et d’animation, Les Bottes de la Nuit est un joyau à la fois visuel et émotionnel. Le choix d’une esthétique sombre et monochrome pourrait cependant moins captiver les plus jeunes spectateurs, habitués à des œuvres colorées et dynamiques. Pourtant, ce film offre une belle opportunité d’éveiller leur curiosité pour des formes d’animation originales et de les initier à la richesse de techniques moins conventionnelles.
Le pouvoir de la guitare
Titre phare de ce triptyque, Une guitare à la mer de Sophie Roze conclut le programme sur une note chaleureuse et lumineuse. Ce film d’animation, plus long que ses prédécesseurs, nous invite à suivre une fouine itinérante vendeuse de cravates (un détail à la fois absurde et charmant) dans une aventure imprévue. Animal rarement représenté, la fouine devient ici une protagoniste originale, libre de toute connotation culturelle ou symbolique, offrant ainsi une perspective neuve et universelle.
Sa route croise celle d’un hérisson mélomane, personnifié par la douce voix de François Morel, dans une forêt où plane une inquiétude : un mystérieux monstre aurait été aperçu récemment. Ensemble, ces deux solitaires vont surmonter leur méfiance mutuelle pour découvrir qu’au-delà des apparences, le « monstre » n’est qu’un capybara musicien, perdu et à la recherche de son compagnon disparu, un coati. Ce trio improbable décide alors de braver les peurs et les différences, prouvant que la solidarité et l’entraide permettent de surmonter toutes les épreuves.
Outre son message d’unité, le film séduit par son graphisme coloré, ses poupées articulées pleines de vie et ses décors fabriqués avec soin, qui contrastent avec les tons plus sombres du court métrage précédent. La musique joue un rôle central, non seulement comme élément narratif mais aussi comme moyen de connexion entre les personnages. La guitare, véritable fil conducteur, symbolise le langage universel des émotions et de l’art.
Les enfants seront captivés par les aventures amusantes et parfois absurdes de ces animaux atypiques, tandis que les adultes apprécieront les touches d’humour et les subtilités du scénario. En équilibrant légèreté et profondeur, Une guitare à la mer rappelle avec douceur que, même face à l’inconnu, il est possible de créer des liens sincères et enrichissants.
Avec ce triptyque animé, le cinéma d’animation indépendant illustre une fois de plus sa capacité unique à transcender les âges et les cultures pour aborder des thématiques universelles avec délicatesse et imagination. Ce n’est pas pour rien qu’il a reçu le soutien et le coup de cœur de l’AFCAE Jeune public ! Chaque film propose un type d’animation différent, requérant à chaque fois beaucoup de passion et de patience !
De l’accueil de l’autre à la magie des rencontres inattendues, ces récits entrelacés célèbrent l’amitié, l’entraide et l’acceptation des différences. Chaque court-métrage, à travers son style visuel distinct et sa narration propre, constitue une véritable invitation au voyage émotionnel et artistique.
Que ce soit par les couleurs chatoyantes d’une ferme animée, les ombres envoûtantes d’une forêt nocturne ou la poésie musicale d’une aventure inédite, Une guitare à la mer touche au cœur et marque les esprits. Petits et grands ressortiront attendris, enrichis et, peut-être, un peu plus ouverts à la richesse de ce qui nous rend tous uniques.
> Une guitare à la mer réalisé par Sophie Roze, Pierre-Luc Granjon et Alfredo Soderguit, France – Uruguay – Chili, 2023 (56 min)