Chloé, comédienne de 22 ans, se trouve trop grosse. Régimes, privations, elle a tout tenté avant de chercher à comprendre pourquoi elle a tant de mal à s’accepter. Victime d’une infection généralisée du sang, Marie-Pierre est plongée en coma artificiel. A son réveil, elle doit accepter sa perte d’autonomie, puis réapprendre à se nourrir seule, à marcher ; renaître. Depuis cinquante ans, Denise donne des cours de gymnastique volontaire. A 85 ans, sa créativité joyeuse comble ses élèves qui, souvent, luttent contre les séquelles d’accidents ou de maladies.
Ronde, malade, âgée… ces femmes-là, on les voit peu dans la presse. S’ils ont chacun leurs propres approches éditoriale et esthétique, ces reportages – respectivement signés par Elodie Sueur-Monsenert, Delphine Vaisset et Emilie Wood – partagent une même ambition : montrer l’univers féminin loin de ses représentations les plus caricaturales.
C’est précisément l’objectif d’Essenci’Elles, le collectif lancé par les trois filles, fin septembre. News, portraits, récits, sujets sociaux, photos artistiques ou créations multimédia, le catalogue est déjà bien rempli. « Nous voulons présenter les femmes dans toute leur diversité : physique, sociale, culturelle, intellectuelle… », explique Elodie.
Le collectif n’est pas qu’une vitrine, il se veut aussi une banque d’images et un outil de production ; un reportage commun au Brésil est déjà en préparation.
Mauvaise image
Emilie, Delphine et Elodie se sont rencontrées à l’EMI-CFD, l’Ecole des métiers de l’information où, pendant sept mois, elles ont appris le photoreportage. « L’idée de monter un collectif a muri petit à petit pendant notre cursus, précise Delphine. Mais nous nous sommes vraiment décidées après avoir assisté à un colloque organisé par Les Nouvelles News sur la place des femmes dans les médias. » Une place toute relative ! Selon l’étude internationale GMMP, 24 % des personnes dont il est question dans l’actualité sont des femmes et seuls 13 % des reportages les prennent pour sujet principal (17 % pour la France).
Rares donc, mais aussi peu valorisées. Que cela soit à la télé, dans la presse ou à la radio, les femmes interviennent bien plus souvent que les hommes, de manière anonyme. On les présente comme mères, épouses, et, comparativement aux hommes, rarement en mentionnant leur profession. Autre chiffre éloquent : dans les médias, quatre experts sur cinq sont des hommes. En fait, quand les femmes sont citées, c’est très souvent en tant que « victimes ». « Au cours de ce colloque, aucune vraie solution n’était avancée, se souvient Elodie. Si nous, filles, ne montions pas ce collectif, il était peu probable que l’initiative vienne de garçons. »
Homme vs Femme : il n’y a pas photo
Car, côté photographie, le constat n’est guère plus brillant. « Majoritairement, dans la presse féminine, et c’est valable également pour les magazines pour adolescents et people, les femmes représentées sont jeunes, minces et de peau blanche. » Un bilan signé Michèle Reiser dans les conclusions de sa « Commission de réflexion sur l’image des femmes dans les médias » initiée par la secrétaire d’État à la Solidarité en 2008.
Hors publicités, moins d’un tiers des photos représentent des femmes. Sur 45 photos, 13 sont consacrées aux femmes pour 32 aux hommes, avance, de son côté, l’Association des Femmes Journalistes (AFJ). « Tous ces chiffres évoluent dans le bon sens, mais si lentement ! » se désole Isabelle Fougère. Vice-présidente de l’AFJ, elle est aussi la créatrice et la responsable du prestigieux Prix canon de la femme photojournaliste décerné chaque année par l’association et Visa pour l’image, avec le soutien du Figaro Magazine.
« Lors de la création du Prix, il y a dix ans, seuls 11 % des photojournalistes étaient des femmes. Notre but était alors de soutenir l’accès des filles à ce métier en mettant un coup de projecteur sur la qualité du travail de celles qui l’étaient déjà. Aujourd’hui, l’excellence des reportages produits par des femmes ne fait plus débat ! » Indéniablement, la profession s’est féminisée et plus de 50 % des effectifs en écoles de journalisme sont des étudiantes. Même si le Prix Canon a beaucoup fait changer les mentalités, les filles sont toujours moins nombreuses que les garçons à s’engager dans la voie du photojournalisme. « Dans notre formation à l’EMI-CFD, nous étions 4 filles pour 15 garçons, confirme Elodie. Cela ne nous a pas surpris. Le monde du photoreportage, tout particulièrement dans le « news », reste un univers très masculin. »
Bimbo, muse ou victime
Mais ce seul critère n’explique ni la sous-représentation des femmes dans les images de presse, ni leur représentation stéréotypée : bimbo, muse, victime, passionaria… « La culture, l’éducation, l’habitude… des tas de facteurs entrent en compte, explique Isabelle Fougère. Les femmes elles-mêmes perpétuent cela inconsciemment. » Un regret que partage Elodie. « Si cette mise au second plan des femmes perdure, c’est que les femmes ne s’en rendent même pas compte. Notre collectif est un moyen de braquer la lumière sur ces femmes de l’ombre. Nous irons les chercher, qu’elles soient mère de famille, assistante parlementaire ou chercheuse au CNRS. »
Essenci’Elles veut ainsi faciliter la tâche des rédacteurs en chef et des responsables iconographes des médias qui se plaignent de mettre beaucoup plus de temps pour dénicher une photo de femme que d’homme.
Les trois fondatrices insistent toutefois sur un point : leur démarche n’est en aucun cas tournée contre le sexe dit fort. Elles soulignent d’ailleurs que la seule critique qu’elles ont reçues à ce jour est venue de féministes qui leur ont reproché d’avoir choisi, pour illustrer leurs cartes de visite, comptes Twitter et Facebook, une photo de Chloé en sous-vêtements. « C’est pourtant une image à rebours de tous les stéréotypes », souligne les jeunes associées. « Essenci’Elles n’est pas un collectif de femmes qui photographient des femmes, ajoute Elodie. Nous ne défendons absolument pas une approche de « femme entre elles » contre le reste de la société « machiste » ! » Les filles envisagent d’ailleurs d’accueillir des garçons dans le collectif. « Car contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est pas toujours plus facile d’être une femme pour aborder l’univers féminin, précise Elodie. Et puis, cela peut, par exemple, nous conduire à choisir des angles plus attendus, moins originaux ou à aborder un sujet avec moins de distance qu’un homme. »
On l’a compris, ce qui importe Elodie, Delphine et Emilie c’est que « les femmes invisibles » trouvent enfin toute leur place dans les pages des magazines, livres et sites Internet. Les femmes représentent 51,6 % de la population française : il serait temps que cela se voit !