Cela fait maintenant douze semaines que des centaines de milliers d’étudiants québécois ont entamé une grève politique pour dénoncer la décision unilatérale du gouvernement d’augmenter de 75% les frais de scolarité universitaires. Même si le Québec offre des frais de scolarité enviables en comparaison du Canada ou des États-Unis, la hausse représente 1625$ sur 5 ans, ce que les étudiants jugent inacceptable. La ministre Line Beauchamp, prétextant l’état désastreux des finances et de la dette du Québec, a refusé pendant la majeure partie du conflit de négocier avec les fédérations étudiantes, plongeant le Québec dans une crise politique apparemment insoluble.
Au fil des semaines, le débat sur le bien fondé de la hausse des frais de scolarité s’est élargi, notamment, au mode de gestion des universités. À titre d’exemple, l’Université du Québec à Montréal a dû interrompre la construction de l’un de ses pavillons, l’an dernier, pour cause d’un important dépassement de coûts. Les pertes liées à ce projet sont évaluées à 210 millions de dollars (160 millions d’euro). De plus, des scandales de corruptions ont éclaté, ils concernent la gestion des fonds publics pour la construction d’infrastructures et le développement économique du Nord de la province. On soupçonne notamment des allégations de collusion, de délits d’initiés touchant les concessions minières et de possibles accords avec la mafia.
Et l’absence d’échanges politiques concrets pour régler le conflit a forcé sa judiciarisation; ceux qui s’opposent au mouvement multiplient les demandes d’injonctions contre les grévistes. Se pose alors le problème de la reconnaissance du droit de grève des étudiants. Puisqu’au Québec, le mode de nomination des juges fait en sorte que ceux-ci doivent leur poste au Parti libéral du Québec, au gouvernement depuis 9 ans. Impartialité judiciaire, conflits d’intérêt ? Une crise politique loin de ne toucher qu’à l’accès aux études supérieures.
Pourquoi avoir choisi la rue?
La question se pose. Après tout, les étudiants de cette génération n’ont pas la réputation d’être très impliqués politiquement. Il y a cependant une nuance entre implication citoyenne et implication partisane. Certains partis politiques appuient les étudiants, le Parti Québécois (centre-gauche) et Québec Solidaire (gauche), mais loin de soutenir un parti politique en particulier, les étudiants du Printemps québécois manifestent au nom d’idées qui leur sont chères, individuellement. La rue est le lieu d’une rencontre entre différentes factions unies pour un idéal de démocratie qu’ils ont tous en commun.
Mais le véritable espace de revendication du Printemps québécois, c’est l’espace virtuel : facebook, twitter, blogs, etc. C’est un véritable mouvement de démocratie 2.0. D’abord, il n’a pas de chef, mais seulement des porte-paroles. C’est un mouvement décentralisé dont les manifestations sont souvent organisées, non par un groupe de leaders, mais par initiatives individuelles. Aussi, le mouvement accepte la divergence de points de vue en son sein. Certains sont pour la gratuité scolaire, notamment la Coalition Large pour une Solidarité Syndicale Étudiante (CLASSE), alors que d’autres revendiquent seulement le gel des frais de scolarité, notamment les Fédérations Étudiantes Collégiale/Universitaire du Québec (FECQ et FEUQ). Bref, c’est un mouvement qui revendique une politique nouvelle, loin des décisions sans consultation d’un gouvernement qu’il dénonce.
L’importance d’Internet s’est révélée lorsque les médias traditionnels ont commencé à rapporter certains actes de vandalisme commis du côté étudiant. La ministre a immédiatement sommé les porte-paroles du mouvement de « condamner la violence ». Pourtant en mars, un étudiant avait perdu l’usage d’un œil, atteint au visage par une grenade assourdissante du service de police. À la suite de la sortie de la ministre, les parodies se sont multipliées sur la Toile : «10 000 étudiants ont brisé une vitre! ». Fidèle à l’ironie, le mouvement étudiant a accepté de condamner publiquement la violence « commise contre les individus ».
Vers un règlement du conflit ?
Mais au-delà de ces délibérations sémantiques, il est à noter que ce conflit est resté étonnamment pacifique après 12 semaines d’impasse et de tergiversations stériles. Le 26 avril dernier, des manifestants ont collaboré avec les forces de l’ordre pour arrêter des casseurs et des félicitations ont pu être échangées de part et d’autre. Les immenses rassemblements du 22 mars et du 22 avril se sont déroulés dans le calme et la bonne humeur. Mais cette entente est fragile, comme le démontre une émeute qui a éclaté à Victoriaville il y a quelques jours.
Vendredi, la ministre a accepté de négocier avec les fédérations étudiantes pour dénouer la crise. Elle avait déjà fait deux essais de ce genre depuis le début du conflit, mais avait elle-même mis fin aux négociations inachevées. Depuis ce week-end, une entente de principe lie le gouvernement et les fédérations étudiantes. Celles-ci ont accepté la hausse des frais de scolarité en échange d’une diminution équivalente des frais afférents –ou frais institutionnels. Cette entente n’est pas encore officielle, car elle n’a toujours pas été entérinée en assemblée par les associations étudiantes. Même si les manifestations ony pris fin, la crise n’est pas encore terminée. Le gouvernement dit vouloir mettre sur pied un comité qui étudierait la possibilité de diminuer les dits frais afférents en améliorant la gestion des universités. Le problème a donc été transféré au niveau institutionnel, aux mains des recteurs.
Au Québec, d’ordinaire, nos révolutions sont calmes et la comparaison avec le Printemps arabe est exagérée. Bien sûr, le gouvernement du Québec n’est pas celui Moubarak. Mais est-il nécessaire de vivre dans un régime totalitaire pour revendiquer une démocratie plus saine, plus transparente et moins unilatérale dans la prise de ses décisions?
Voilà, en quelques mots, à quel point ce conflit va au-delà de la question de l’accessibilité aux études supérieures. Le mouvement qui revendiquait des états généraux sur l’éducation revendique maintenant une nouvelle Révolution tranquille. Non pas une révolution du peuple pour sa culture, mais bien une révolution du citoyen pour sa reconnaissance et son droit à être consulté.
> Mireille Fournier est en terminale du baccalauréat international et prend part au mouvement et aux manifestations.