A une époque où les terres agricoles diminuent, où la population augmente surtout dans les villes, la question de la production agricole future se pose. Tandis que les institutions établissent des études et des scénarios, des citoyens conscients des problèmes agissent, des petits projets voient le jour dans les grandes cités du monde. Dans 30 ans, 50 ans, comment évoluera cette tendance ? L’(agri) nature saura-t-elle reprendre ses droits et investir le bâti avec l’autorisation des dirigeants ?
Le vert prend ses marques
Depuis quelques décennies déjà, vous avez certainement vu pousser à l’angle de votre rue ou dans votre quartier un jardin partagé ou encore remarqué, même à Paris, les balcons envahis de verdure. La nature prend le pavé mais pas seulement. Les toitures plates, les terrasses, ne sont plus seulement fleuries pour le plaisir des yeux, elles accueillent désormais des cultures agricoles. Comme aux USA et au Canada où les Rooftop Farms (agriculture en toiture) se développent à vitesse grand V. The Eagle Street Rooftop Farm à Brooklyn, une des premières exploitation à avoir produit des laitues et des tomates urbaines, offre en prime une des plus belle vue sur la Grosse Pomme. Chacun peut venir y faire ses courses selon ses besoins et procéder à sa récolte.
En Ile-de-France, la cueillette s’effectue encore dans des fermes traditionnelles, et des potagers partagés. Mais petit à petit, des projets similaires à celui de Brooklyn se développent à Paris. Depuis 2012, le projet pilote T4P – Toits Parisiens Productifs, a été mis en place sur la toiture de 600m2 de l’école AgroParis Tech (institut des Sciences et Industries du Vivant et de l’environnement) rue Claude-Bernard dans le 5ème arrondissement. L’initiative de l’association Toits Potagers collabore avec l’INRA et AgroParis Tech pour réfléchir à une nouvelle agriculture « en constituant et en testant des substrats de culture utilisables sur les toits, à partir de matériaux organiques locaux, issus du recyclage de déchets urbains ». Le projet toujours à l’étude ne prétend pas rendre les villes autonomes en nourriture mais permettrait de produire des produits de qualité à hautes valeurs gustatives.
Sol pollué, manque d’espace, dérèglement climatique et augmentation du prix du foncier, il s’agit désormais d’investir l’espace existant intelligemment pour répondre à nos vrais besoins. Des habitants l’ont compris et des associations fleurissent afin de promouvoir l’utilisation entre autre de cette 5ème façade trop longtemps laissée à l’abandon et surtout d’arrêter de s’étendre sur la terre nourricière.
Des besoins simples
Ce retour à la nature apparaît comme une forte envie sociétale. L’agriculture devient pour les citoyens du monde un moyen de défendre leurs espaces, leurs cadres de vie mais aussi leurs valeurs. La limite entre zone rurale et citadine devenant de plus en plus floue, cet engouement se propage sur l’ensemble des territoires. La campagne en ville est devenue un besoin, non seulement pour mettre la main à la pâte et ne plus se sentir comme de simples consommateurs mais aussi pour lutter contre l’individualisme, ce fléau des villes. La gestion collective crée du lien, du partage et apporte de la cohésion entre les habitants.
Cette agriculture urbaine répond également à des difficultés économiques réelles. La nourriture coûte cher. En France, les jardins ouvriers (désormais quasiment disparus) répondaient en leur temps à ces difficultés. D’autres modèles apparaissent, comme dans la ville de Todmorden dans le Yorshire anglais où une libre production de fruits, légumes et aromates a été mise en place pour les 15 000 habitants. Les trottoirs du centre ville investi comme un champ agricole sont envahis par les poireaux, le persil s’épanouit sur le parking du commissariat de police et même entre les tombes du cimetière on sème, on plante puis on cueille gratuitement selon ses envies. Ce supermarché gratuit à ciel ouvert créer par la communauté Les incroyables comestibles sème aujourd’hui dans plus de 250 communes de France et transforme la ville en potager gratuit. Le 13ème arrondissement de Paris vient tout juste d’être investi. Vous reconnaîtrez facilement le phénomène avec grâce à pancarte « Nourriture à partager ». Tous à vos paniers !
Et demain ?
Mondialisation galopante, multiplication des scandales sanitaires, ces « petits projets » voient le jour un peu partout dans le monde pour prôner un retour du juste prix et surtout de la qualité des produits. Rapprocher les consommateurs des producteurs en supprimant les intermédiaires permet effectivement de réduire les coûts, de contrôler ce qui est produit et bien évidemment de savoir ce que nous mangeons.
Au coeur des villes, cette solution existe avec des distributions via des Amap ou directement chez l’habitant comme La ruche qui dit oui à Paris. Ces réseaux visent en effet à créer un lien direct entre les consommateurs et les producteurs. Et bientôt des labels répertoriant la production de proximité verront certainement le jour. Allez encore plus loin serait d’associer au sein d’un même lieu, la production et la vente. Et pourquoi pas un supermarché – producteur dans des immeubles de nos centres villes ? Ce schéma raccourci non seulement les filières, mais répond aussi à la problématique de l’étalement foncier. Un concept est déjà testé aux USA mais pas encore en France.
Pour autant, l’agriculture urbaine peut elle nourrir toute une ville ? Plusieurs idées toujours au stade de projets émergent comme les fermes verticales. Des tours de moyenne ou grande hauteur qui pourraient accueillir des cultures de toutes sortes mais aussi des élevages de bovins, de poulets… Des architectes conceptualisent et dessinent déjà ces idées. L’Agence SOA en France réfléchit tout particulièrement à cette question et propose régulièrement des créations et des scénarios de réponse. Pour SOA, nourrir la planète est une affaire de présence humaine. Elle tente une nouvelle fois d’y répondre avec son projet d’Agritecture qui sera le pavillon français pour l’exposition universelle de Milan en 2015 sur le thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie ». Cette agence a même créer une association LUA, le Laboratoire d’Urbanisme Agricole, qui se consacre à la recherche et aux développement de projets autour de l’Agriculture Urbaine. Toutefois, en l’absence d’une gouvernance particulière, de la révision des règles sanitaires actuelles, de la prise en compte de l’écologie, de l’urbanisme… cette évolution semble encore utopique car complexe.
La prise de conscience est là et les actions aussi. Les consommateurs gardent leurs yeux grands ouverts. Ils veulent désormais comprendre et connaître les produits qu’on leur sert ou qu’ils cuisinent. La configuration spatiale de nos villes s’adaptent et continuera à évoluer en même temps selon ces nouvelles exigences. La révolution verte est en marche et la ville potagère du futur se dessine. Reste à imaginer, proposer et tester des solutions viables à grande échelle.