Xavier prend le micro et annonce l’ouverture du Ball. Ce soir, il ne dansera pas. Car c’est lui qui organise le Wrestlemania Ball de la Paris BallRoom scene à la Maison des Ensembles, dans le 12ème arrondissement. Aux premières notes, le catwalk accueille les participants, travestis ou non, arborant des tenues travaillées, souvent glamours. Les équipes s’affrontent, à base de compétions de danse, de “poses” et de performances variées, le tout sur de la musique House.
Ce genre de compétitions, Xavier, 25 ans, lui-même Vogueur, (il participe à des battles dans toute l’Europe, et en gagne beaucoup !) en organise souvent. C’est même lui, avec Stéphane Mizrahi et Alex Mugler qui a créé la Paris Ball Room scene. L’idée : recréer l’ambiance des balls américains, qui comprennent une kyrielle de catégories dont le Vogue. Née dans les prisons dans les années 30, cette danse urbaine créée par les afro américains gays est descendue dans la rue et a explosé dans les clubs underground new yorkais dans les années 80-90. On la connaît mieux depuis le clip de Madonna du même nom et le superbe film Paris is Burning de Jennie Livingston.
Un espace de liberté pour les gays noirs
Impossible de résumer le Vogue à une danse urbaine : c’est un véritable espace de liberté, créé à une époque où racisme et homophobie imprégnaient durement la société américaine. « Ce n’est pas une danse, c’est un esprit, c’est ton âme que tu fais partager aux autres, explique Xavier, ses longs cheveux finement tressés. Tu peux apprendre tous les mouvements – c’est une danse extrêmement codifiée – mais si tu ne le ressens pas, tu ne dégageras rien. »
S’il est originaire de Guyane, il a multiplié les séjours à New York. C’est là-bas qu’il découvre le Vogue, en 1998. Le Vogue originel, le Old Way : tout en lignes et en angles. « Ça ne m’a pas intéressé au départ, c’était trop masculin, très militaire ». Quelques années plus tard, toujours à New York, c’est dans la rue qu’il fait connaissance avec le Vogue New Way, beaucoup plus fluide. À l’intérieur de ce nouveau genre, il y a le Vogue Fem Dramtic. « Leoimy, une vogueuse, m’a inspiré mais c’est vraiment Alloura qui m’a donné envie de danser comme ça. On l’appelait la Queen of Dramatic, le Mickael Jackson de la BallRoom. Elle mettait vraiment les gens en haleine, dès qu’elle arrivait, ils savaient qu’il allait se passer quelque chose. »
Il se met donc au Vogue Fem Dramatic, ultra-féminin et très acrobatique, pratiquée par les trans et les travestis. D’ailleurs, dans une BallRoom, Xavier est Lasseindra. À la base, le Vogue s’inspire du magazine du même nom, et notamment des poses des mannequins blanches en couverture. D’où le fait que les BallRooms soient formées autour de Houses ou “maisons”, c’est à dire des familles, souvent aux noms de maisons de haute couture française, comme Yves Saint Laurent ou Chanel. Les costumes sont volontiers flamboyants bien que réalisés artisanalement. Ou comment une minorité opprimée réinvestit les codes de la culture dominante pour l’élever au rang d’art subversif et en faire une force.
En créant un espace privilégié pour les travestis, les drag queens, les trans etc, le Vogue explose les codes de genre. Et devient d’autant plus un espace de liberté énorme. « Les ballrooms ont été créées par des gens qui n’avaient plus rien, qui ne pouvaient pas travailler. Ils ont recréé une micro-société, une nouvelle famille, se sont entraidés pour réussir à survivre. La force de cette culture, c’est l’auto-suffisance. »
Aujourd’hui, si le Vogue des débuts a beaucoup évolué, l’esprit “familial” demeure. Xavier, alias Lasseindra, fait partie de la House of Ninja. A Paris, il n’a qu’une soeur, Marie Ninja, mais ils sont en contact avec la maison-mère de New York tous les jours. « Beaucoup de jeunes qui viennent aux Balls m’ont dit que ça les avait libérés. Ils se lâchent, ils savent que c’est le moment où tout est permis ! Le Vogue pour moi, c’est se dire que tu n’es pas une merde et que tu le sais, que tu ne vas pas te rabaisser. Parce que si tu ne t’aimes pas toi-même, personne ne t’aimera ! »
“Une Ball Room, ce n’est pas un carnaval”
Dans la ballroom de la maison des ensembles à Paris, on sent cette fierté, cette liberté totale et surtout la joie féroce de ceux qui s’assument à 100%. La Vogue transpire l’Amérique mais a réussi à s’exporter en Europe. Et c’est une discipline très ouverte : s’il reste majoritairement gay, noir et latino, des filles hétéros et blanches s’y plongent à leur tour. « Je suis content que ça ne soit pas un ghetto. Ce n’est pas une question de noir ou blanc, il suffit d’être ouvert, et de se rappeler l’histoire du mouvement. C’est juste que les noirs ont une souffrance en plus et que c’est eux qui l’ont créé à la base parce qu’ils avaient cette souffrance-là, celle d’être marginalisés. Une souffrance qui est encore d’actualité. Il ne faut pas oublier que c’est un espace privilégié pour eux. »
Ce qui le met hors de lui, ce sont ceux qui oublient les racines de la culture Vogue. Et il est bien placé pour le savoir. Il est le seul gay et travesti en Europe à avoir fait des battle hétéro. « J’ai entendu tout et n’importe quoi, des insultes, j’ai reçu des canettes de coca. Pleines bien sûr. Certaines personnes ne connaissent rien à la culture et ne m’ont pas du tout accepté. Il y a beaucoup de chemin à faire pour les mentalités. »
Une Ballroom, « ce n’est pas un carnaval », martèle-t-il. « Selon la catégorie, tu ne peux pas faire n’importe quoi, c’est un endroit ou tu peux t’exprimer complètement, ce que tu ne peux pas faire dehors. Mais il y a quand même des règles, c’est une micro-société, pas un carnaval ! Ne pas respecter ça, c’est ne pas respecter la culture. » Donc pas question de mettre une perruque et une jolie robe tout en gardant sa barbe par exemple. Ainsi, les Balls qu’il organise sont festifs, bien sûr, mais stricts. C’est aussi pour transmettre l’essence de la culture Vogue qu’il a accepté de donner des cours, à l’école parisienne Juste Debout.