Le monde de Willy (Daniel Vannet) est totalement chamboulé lorsque son frère jumeau Michel décède. Vivant encore chez ses parents à 50 ans, il décide de quitter pour la première fois le foyer familial pour prendre son indépendance. Willy n’a désormais plus qu’une idée en tête, s’installer dans le village voisin pour vivre sa vie en totale autonomie.
« À Caudebec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Un scooter, j’en aurai un. Des copains, j’en aurai. Et j’vous emmerde ! » telle est la rengaine qu’il répète à l’envie à tous ceux qu’il croise. Armé d’une détermination à toute épreuve, Willy est prêt à surmonter ce monde hostile qu’il ne connaît pas avec un courage — et une part d’inconscience — qui force l’admiration.
Héros des temps modernes
Les premières minutes de Willy 1er peuvent être assez déroutantes pour le spectateur non préparé à ce qu’il va voir. On découvre à l’écran Willy, un homme au visage poupon marqué par une mélancolie lasse s’exprimant avec un accent chtimi à couper au couteau et vivant encore chez ses parents alors qu’il est plus proche de l’âge de la retraite que de l’adolescence. Le Nord, la précarité du monde rural et une situation peu banale d’un homme simple qui n’a jamais vécu en dehors du nid familial, autant d’éléments qui alimentent jusqu’à l’overdose des émissions voyeuristes et cruellement moqueuses sur de nombreuses chaînes télé.
Ce premier long métrage signé par quatre jeunes réalisateurs débute ainsi, entre la crainte d’assister à une fictionnalisation malsaine d’un épisode de Confessions intimes et l’espoir que le propos se rapproche plus du regard potache et bienveillant de Groland. Fort heureusement, ce récit initiatique totalement décalé se range rapidement du côté de l’émission de Canal Plus plutôt que de celui des productions douteuses qui font les beaux jours des petites chaînes de la TNT. Loin d’être un pion dont l’on se moque, Willy s’impose rapidement comme le héros de cette histoire à la fois banale et extraordinaire.
Willy est incarné par Daniel Vannet, qui joue — à quelques détails près — son propre rôle. À 50 ans, Daniel vivait lui aussi encore chez ses parents et a décidé suite à des drames familiaux de s’exiler dans le village voisin pour gagner en autonomie. Cette nouvelle vie passe par des épreuves banales mais qui semblent insurmontables pour cet homme qui vivait jusque là en marge de la société, surprotégé par ses parents. Un appartement, un scooter et des amis, voilà le Saint Graal pour Willy et il fera tout pour l’obtenir.
La quête peut paraître dérisoire mais pour cet homme qui fait sa crise d’adolescence et se rebelle enfin à 50 ans il va falloir se battre et son combat s’avère très attachant. Objectivement, Willy n’accomplit rien d’exceptionnel mais, pour lui, les épreuves à franchir pour réaliser son rêve sont immenses. Willy 1er joue malicieusement avec les codes du récit traditionnel dans lequel un homme ordinaire réussit des exploits hors du commun, ici c’est un homme décrit comme inadapté qui va faire l’impossible pour juste devenir ordinaire.
Le sacre des inadaptés
Dans ce film très tendre et humain, Daniel Vannet — acteur amateur, comme la quasi totalité du casting — est incroyable. Avec son air bonhomme et empreint de tragique, il crève l’écran dans son propre rôle et s’avère particulièrement touchant lorsqu’il converse avec son frère jumeau décédé qui lui apparaît sous la forme d’hallucination spectrale. Film initiatique sur la liberté, Willy 1er est aussi en filigrane le récit du deuil d’un individu qui décide de s’assumer en partant à la découverte du monde extérieur.
Pour ce faire, Willy n’a pas besoin d’aller plus loin que le village voisin où il va chercher un appartement — aidé par sa tutrice Catherine, incarnée par la seule actrice confirmée du casting Noémie Lvovsky, parfaite comme à son habitude — un scooter et des amis.
Moqué plus ou moins ouvertement par son nouvel entourage, Willy va rapidement se rapprocher d’un autre Willy (Romain Léger), un collègue lui aussi « inadapté » dans le petit village car trop efféminé au goût des habitants. Tous les deux rejetés et abusés, pour des raisons différentes, ils vont se lier d’amitié pour faire face à l’adversité.
Le premier long métrage de Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas chronique avec un une simplicité touchante la revanche jouissive de ces personnes rejetées par la société normalisée. Signe que le film a quelque chose de magique, le « second Willy » arrive — au détour d’une scène — à rendre supportable une chanson de Zaz, un sacré défi qui rappelle celui de Xavier Dolan sublimant Céline Dion dans Mommy (2014).
Profondément bienveillant, Willy 1er est une bouffée de liberté à savourer sans restriction, lancé à pleine vitesse sur le scooter de Willy. Lauréat de nombreux prix, dont celui du Jury et du Public au Festival de Groland, ce premier film est une vraie réussite qui donne envie, à l’image de son héros pas banal, d’emmerder les briseurs de rêves.
> Willy 1er, réalisé par Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas, France, 2016 (1h22)