Les Y, une génération d’ingrats

Les Y, une génération d’ingrats

Les Y, une génération d’ingrats

Les Y, une génération d’ingrats

13 février 2012

Ils ont grandi avec Internet et bouleversent les codes de la société. Ce sont les Y, les jeunes âgés de 18 à 30 ans, dépeints par leurs aînés comme des individualistes, insolents et instables au boulot comme en amour. Logique, cette génération d'ignares n'est composée que d'alcooliques et de drogués qui ne pensent qu'à brûler des voitures et mâter des films porno sur Internet. Pas étonnant donc qu'ils ne votent pas !
Retour sur ces critiques, rabâchées, que deux journalistes ont décidé de renverser dans un livre : La génération Y par elle-même.

La génération Y, 18-30 ans, insolents, instables, dopés au porno, dépolitisés... | Photo FlickR, CC, C-reel.com

Un modem 56k, un ordinateur, un débit limité, une connexion instable, une navigation sur Netscape. Les débuts d’Internet dans les foyers demandaient patience et persévérance. Une époque qui a marqué les esprits et fait aujourd’hui sourire les presque trentenaires. Une étape qui révèle également l’émergence d’une nouvelle génération : les Y. Aujourd’hui âgés de 18 à 30 ans, ils seraient insolents, instables, dopés au porno, dépolitisés… Des critiques trop souvent entendues, aujourd’hui démontées une à une par Myriam Levain, 29 ans et Julia Tissier, 27 ans, dans un livre : La génération Y par elle-même – Quand les 18-30 ans réinventent la vie.
Les plus vieux Y sont nés au début des années 80, les plus jeunes au milieu des années 90. Principale caractéristique : être connectés à Internet. Bien évidemment, les plus vieux sont nés avant qu’Internet n’envahisse leur quotidien. « Mais nous avons pris le train en marche. Nous avons fait nos études avec Internet, n’avons jamais travaillé sans. Les plus jeunes, eux, ont toujours socialisé avec le Web », précise Myriam.

Cette génération, plurielle (les 18-30 ans vivent, pensent et agissent différemment), rassemble ceux qui ont grandi avec Internet. Et qui ont créé, sans le vouloir, ni le savoir, un fossé avec leurs aînés, les X[fn]La génération X est la génération des sacrifiés. Elle regroupe celles et ceux qui sont nés entre 1960 et la fin des années 1970. A l’origine connue sous le nom de baby bust, en raison du faible taux de natalité par comparaison à leurs pairs : ceux du baby-boom. Le livre du canadien Douglas Coupland Génération X, décrivant les angoisses existentielles de cette génération (saturation des médias, instabilité économique et absence de valeurs religieuses) arrivée « après la bataille » et aux ambitions sacrifiées.[/fn]. « Le Web a chamboulé notre mode de vie », résume Myriam. Rapports humains, manière de travailler, de consommer… Conséquence directe, au travail, les Y sont mal vus. 55 % des salariés âgés de plus de 30 ans pensent que leurs jeunes collègues sont plus ambitieux, plus individualistes (58 %), moins efficaces, moins motivés, moins enthousiastes et moins polyvalents[fn]D’après l’étude « La génération Y en quête de reconnaissance dans l’entreprise », réalisée par Ipsos-Logica Business Consulting, en janvier 2012.[/fn].

Mollassons et forts en gueule

Reprenons : les Y sont des ambitieux, individualistes et mous du genou. Faux et simpliste, pour les auteurs de La génération Y par elle-même. Ces critiques sont nées d’une incompréhension : les Y (soi-disant insolents) entretiendraient juste un rapport différent à la hiérarchie. « Nous sommes des enfants-rois et/ou de divorcés. On se comporte avec nos supérieurs comme avec nos parents. Notre génération ne connaît pas le non. Depuis l’enfance, nous avons appris à négocier », clarifie Myriam. Tiraillés entre papa et maman, les Y ont su jouer, parfois abuser, de leurs parents. « Quand papa refuse, on demande à maman, et quand maman est trop dure, on fait culpabiliser papa »*, écrivent les deux journalistes.

Julia Tissier et Myriam Levain. | Photo Capucine Bailly

Autre facteur qui expliquerait cette prétendue insolence : les Y respectent la compétence de leurs collègues avant leur grade, et veulent comprendre les raisons des missions qui leur sont imposées. Souvent considérés comme instables au travail, les Y ne feraient que s’adapter à un contexte économique catastrophique. Chômage, précarité, baisse du pouvoir d’achat… des termes qui les accompagnent depuis l’enfance.
Précaires, ils sont. Ils le savent. Mais ce n’est pas une fin en soi et ils en font une force. « Cette lutte a commencé dès la fac, quand nous avons découvert le monde merveilleux des stages. […] Toute entreprise qui se respecte fait travailler en permanence des stagiaires, pour des durées pouvant atteindre une année scolaire. »* « La grosse carrière avec le gros salaire, ce n’est pas pour nous, poursuit Myriam. Notre précarité, elle est subie. Quitte à être sous-payés autant que notre job nous plaise. Tout ce qui nous reste, c’est l’épanouissement au travail. »

Une rébellion qui peut les mener à claquer la porte de l’entreprise, sans avoir un plan B. Aujourd’hui, ce n’est qu’une tendance. Tous les Y qui ne sont pas épanouis dans leur travail ou qui souhaitent en changer, ne démissionnent pas tous de cette manière. Rattrapés par les impondérables du quotidien, factures et loyer à payer. « Certains démissionnent parce qu’ils ont trouvé un meilleur job mais aussi parce qu’ils ont de très bas salaires. Ils n’ont pas grand-chose à perdre. Et surtout, certaines offres d’emploi sont hallucinantes. Des stages interminables ou des CDI en 4/5e rémunérés 700 euros nets par mois. C’est honteux. Les Y disent non à ces propositions », insiste Myriam. Des jeunes qui se rebellent face à des offres indécentes et qui bousculent les codes, faisant du « chômage-tare », un « chômage-opportunité ». « Le CDD est la norme, rappelle la journaliste. A la fin de ce type de contrat, on touche une prime de précarité et les Assedic. Nous utilisons ces aides. Le chômage, ce n’est pas le plan de carrière des Y. Mais un moment pour tenter d’autres expériences professionnelles. » La précarité développerait ainsi la créativité. « A la base, les jeunes qui cumulaient plusieurs jobs, c’était à cause de la précarité, pour gagner plus d’argent. Certains ont transformé cela en atout, ont acquis de nombreuses compétences. Aujourd’hui, ils ont des profils intéressants pour les entreprises », ajoute Julia.

Les Y, la nouvelle dynastie des Fainéants

Nos aînés pensent souvent que les Y ont un gros poil dans la main. Pourquoi ? Parce que la petite jeune du haut de ses 27 ans a eu l’audace de demander la permission de poser une RTT ou ne faire que ses 35 heures hebdo. Au-delà du fait que c’est un droit, Myriam précise : « On est en CDD, payé au Smic souvent dans de mauvaises conditions de travail. Tout ce qu’il nous reste, ce sont les 35 heures et les RTT. Pourquoi se priver ? Par contre, quand un Y aime son job, il le fait à fond. » Corvéable à merci : oui, mais pas à n’importe quel prix.

Les 18-30 ans, des précaires souvent surdiplômés, abonnés aux stages... | Photo FlickR, CC, William Hamon (aka Ewns)

Les 18-30 ans, des précaires souvent surdiplômés parce qu’ils ont suivi le conseil de leurs parents : « Dans le contexte économique actuel, le mieux, c’est que tu fasses des études… Mais bon, t’attends pas non plus à trouver un emploi à la fin »*. Bardés de diplômes, ils seraient toutefois incultes. Paradoxal. « Certes, on lit moins facilement l’intégrale de Proust mais on se cultive autrement. Le Web est une source de richesses énorme, en musique, cinéma… On lit aussi pas mal la presse en ligne », explique Myriam. « On nous qualifie d’incultes parce que nous ne sommes pas tous irréprochables en orthographe et que nous avons une autre écriture, très stigmatisée : celle des textos. Nous sommes capables d’écrire en français et en texto, on a développé deux langages. C’est une vraie force », renchérit Julia. « Quoi qu’on en pense, SMS et e-mails sont des formes d’écriture. On lit et écrit beaucoup mais autrement », insiste Myriam.
Pour les deux journalistes, il faut sortir des schémas de culture du début du XXe siècle et écouter certains sages comme l’académicien Michel Serres qui pense que la génération Y a un énorme potentiel.

Avant que le coq ne chante, tu devras jouir trois fois

Le Web révolutionne tout dans notre culture et donne facilement accès aux informations. A tous les contenus, même ceux classés X. Résultat, les vieilles générations sont persuadées que derrière chaque jeune, adepte de Youporn, se cache un acteur porno en puissance. « Sodomie, éjaculation faciale ou double pénétration : à en croire les articles sur le sujet dans la presse, ces pratiques feraient partie du répertoire sexuel habituel de la génération Y »*. Si la libération sexuelle est passée par là, dédiabolisant la sexualité, les Y au lit, c’est une histoire compliquée. « Notre génération souffre d’une injonction à la jouissance. Si on ne jouit pas trois fois par rapport sexuel, on a l’impression d’être nul », explicite Myriam. Un postulat qui vaut pour les femmes comme pour les hommes. Des hommes qui recherchent leur plaisir et veulent donner du plaisir : « Les mecs sont tétanisés à l’idée de ne pas donner de plaisir à leur partenaire. Ils ont l’impression de ne pas être normaux ».

La génération Y, adepte de Youporn. | Photo FlickR, CC, Maych

En matière de sexualité, les mœurs changent doucement. D’ailleurs, l’âge médian du premier rapport sexuel, 17 ans, est le même depuis une dizaine d’années. Ce qui a réellement changé les rapports entre les Y et le sexe, c’est le Sida. « Depuis l’apparition des antibiotiques dans les années 1940, qui ont permis de soigner la syphilis, le sexe n’était plus associé à la mort. Si les X ont dû s’adapter à cette nouvelle donne sexuelle, nous, nous avons grandi avec »*. Le sexe ne serait donc pas quelque chose que l’on prend à la légère mais un sujet très sérieux. « La manière dont on a appréhendé le sexe à l’école était axée sur les MST et la contraception. Ce qui ne mène pas franchement à une vie sexuelle totalement débridée », rappelle Julia. « Même si pour nous, la capote est devenue un rituel, il ne faut pas croire que les Y ont tant de partenaires que ça », précise Myriam.

La politique via #Elysee et #presidentielle2012

A quelques semaines de l’élection présidentielle, sondages et pronostics se multiplient. Les jeunes se rendront-ils aux urnes ? Bien sûr que non. Les jeunes ne s’intéressent pas à la politique, ça se saurait, répondront sans hésiter les plus virulents. Faux, répliquent les deux auteurs qui rappellent que les Y ne sont pas plus dépolitisés que leurs aînés au même âge. S’ils ont l’abstention facile, quand le scrutin les concerne, ils y vont. Comme en 2007. « Au second tour de la présidentielle, le taux de participation chez les jeunes était de 84 %. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, candidats atypiques, avaient réussi à séduire la jeunesse », mentionne Myriam.

Seulement, il faut savoir où trouver les jeunes. Même si les politiques en campagne font « du terrain », ce n’est pas sur les marchés qu’ils rencontreront la jeunesse. Il leur faut, eux aussi, investir la Toile. C’est là que les 18-30 ans discutent et échangent leurs idées, notamment sur Twitter. Et les politiques s’y pressent. Sans toujours avoir les bons codes. Et personne n’est dupe. « Beaucoup n’ont pas compris que ça ne servait à rien de recopier son agenda politique dans son fil actu. D’autres, ne savent pas du tout comment fonctionne Twitter. Mises à part quelques exceptions (Eric Besson, Benoît Hamon, Cécile Duflot…), ce ne sont pas les politiques eux-mêmes qui tweetent mais des jeunes. Les politiques utilisent, une fois de plus, leur vieille stratégie électoraliste : faire croire qu’ils se préoccupent des jeunes pour draguer les vieux », constate Julia.

Cécile Duflot sur Twitter. | Capture du compte @CecileDuflot

Le problème de fond entre les Y et les politiques : l’âge qui les sépare. Les 18-30 ans ne se reconnaissent pas dans ces vieux politiques qui font des discours à la papa. « A l’Assemblée nationale, nos politiques ont, en moyenne, 59 ans. Ils ne reflètent pas nos aspirations », souligne Myriam. Qu’en est-il alors de ces jeunes, tels que Julien Bayou (Europe Ecologie-Les Verts), Benjamin Lancar (UMP) ou Laurianne Deniaud (Parti socialiste) ? « Ce ne sont que des jeunes de service, c’est insuffisant. Il faudrait des jeunes dans les équipes politiques. On verra en mai si dans le gouvernement les jeunes de moins de 30 ans seront présents, comme cela était le cas sous Mitterrand », espère Julia.

Les critiques traditionnelles sont démontées une par une dans l'ouvrage.  

A ce désintérêt des politiques à l’égard des jeunes s’ajoute un clivage traditionnel gauche-droite qui n’a plus de sens pour les 18-30 ans. Eux qui sont attirés par d’autres partis. « En général, les Verts attirent les Y. Pour cette élection, c’est moins le cas, Eva Joly ne séduit pas, signale Myriam. En ce moment, les Y se tournent vers François Bayrou et Marine Le Pen ». Un constat qui réanime un épisode politique inédit : le 21 avril 2002. Et qui inquiète Julia : « On a l’impression qu’avant même le premier tour, tout est joué. Que ce sera un duel Hollande-Sarkozy pour le second tour. Ce qui agace les gens et, a fortiori les jeunes. Cela peut conduire à un vote contestataire de la part des Y. J’espère qu’on n’aura pas cette mauvaise surprise, mais c’est une hypothèse qu’il faut envisager. »

Ça sera mieux avant

Exacerbés par des critiques trop dures et par le manque de compréhension de leurs aînés – notamment des X qui eux aussi ont eu du mal de se faire une place parmi des soixante-huitards inamovibles – les Y se défendent en écrivant ce livre. Imparfait diront certains, débordant de vérités pour les autres. L’ouvrage, en tout cas, montre une chose : les X ont peur des Y. « Pour les X, le Web signifie danger, explique Myriam. Evidemment, tout n’est pas tout rose sur Internet mais nous n’avons pas le choix. De plus, le Web est la plus grosse révolution technologique depuis des siècles. Michel Serres le compare à la Renaissance. » La génération Y a donc compris qu’il était nécessaire de s’adapter avant les X. Des aînés rancuniers face à des jeunes compétents, aux connaissances différentes et savoir-faire multiples qui maîtrisent mieux cette technologie.

Une génération d'ignares, composée d'alcooliques et de drogués. | Photo FlickR, CC, 4ELEVEN Images

Reste à savoir si les Y auront les mêmes critiques venant de la génération Z. « Les plus âgés d’entre eux sont nés à la fin des années 1990, les plus jeunes au début du millénaire. […] Internet était là avant eux. A 5 ans, ils regardent les Walt Disney sur iPad ; à 8 ans, ils ouvrent un compte Facebook »*. S’il est trop tôt pour le dire, certains commentaires apparaissent déjà : « Ce sont les Y qui ont réfléchi à ce nouveau mode de digital natives. Mark Zuckerberg est un Y. Les Z seront des Y, en pire », d’après Myriam. En pire ou en mieux. Les Z seront plus intuitifs que les Y. « Ils maîtriseront mieux le Web que nous et éviteront certaines de nos erreurs, notamment sur Facebook. Pour nous, il a été difficile de savoir ce qu’on pouvait écrire ou non sur notre mur. Ceux qui sont sur ce réseau social depuis 2007 ne publient plus de la même manière aujourd’hui », ajoute Julia. Pas d’inquiétude, en tout cas, sur un point : les Y se chargeront de critiquer les Z. Et les Z traiteront les Y de vieux fous et de vieux cons. La critique est transgénérationnelle.

*extraits de l’ouvrage La génération Y par elle-même.

> La génération Y par elle-même. Quand les 18-30 ans réinventent la vie, Myriam Levain et Julia Tissier, François Bourin Edition, janvier 2012.

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