« Hey t’es trop belle ! Oh réponds salope ! » Voici le type de politesses, bien connues d’un grand nombre de femmes, qui peuvent s’échanger au coin d’une rue ou sur le quai d’un métro. C’est également l’en-tête d’un tract que le jeune collectif "Stop harcèlement de rue", tout juste créé en février dernier, a distribué aux passant(e)s dans la rue de Lappe à Paris (Bastille) vendredi 25 avril, à l’occasion de l’inauguration d’une "zone sans relou". Dessus, y figurent également des conseils comme : « Non c’est non ! Dites exactement au harceleur ce que vous voulez. Par exemple, ‘Eloignez-vous’ Parlez d’un ton assuré et sans formule de politesse. »
« Même moi qui suis formée pour y répondre, je ne sais pas toujours quoi faire dans cette situation », avoue Mathilde, 34 ans, l’une des militantes du collectif. « J’ai souvent eu le droit au fameux et insistant ‘T’es charmante’, témoigne Christelle, 32 ans. Le plus souvent, je regarde ailleurs. Il arrive parfois que la personne polie au fond de moi ait envie de répondre ‘merci’… Mais je ne dis rien en général. » Si cela suffisait toujours pour dissuader…
Ces initiatives contre le harcèlement de rue se multiplient ces derniers termps. Le documentaire de Sofie Peeters réalisé en 2012 à Bruxelles avait déjà permis de tirer la sonnette d’alarme. Depuis, Joëlle Milquet, la ministre belge de l’Egalité des chances s’efforce de faire reconnaître ce type de harcèlement comme une "atteinte grave à la dignité humaine". « Nous nous inscrivons également dans le mouvement ‘Hollaback’ (un mouvement international contre le harcèlement de rue, ndlr), présent dans plusieurs pays dans le monde », explique par ailleurs la militante.
Témoins
Objectif du collectif, aux moyens rudimentaires pour l’instant : "éduquer". Et donc parler d’un phénomène banalisé, qui n’en devient pas moins un véritable calvaire pour certaines et peut aboutir à une agression physique. Souvent sous le regard des témoins impassibles, comme ce fut le cas à Lille la semaine dernière. La principale difficulté justement est de faire intervenir ces témoins. Un passant, Gary, 26 ans, témoignait à ce propos vendredi : « Je me souviens avoir assisté il y a six mois, dans le métro, à ce type d’événement. Deux hommes insistaient auprès d’une jeune femme, et puis tout à coup c’est devenu très violent : ils lui ont hurlé dessus, et l’ont traitée de ‘salope’. Elle est sortie à l’arrêt suivant, mais ils se sont rués derrière… Le temps que l’on réagisse, les portes du métro s’étaient refermées. Elle s’est mise à courir… Je n’ai jamais su ce qu’il s’est passé ensuite. » Avant de conclure : « On n’agit pas parce que l’on pense toujours que ça va se calmer. »
C’est pourquoi les conseils du collectif s’adressaient non seulement aux passantes, mais également à ceux et celles qui pourraient un jour être témoins de ces agissements. Et parmi eux, les gérants de bars, susceptibles d’intervenir. Justement, outré par les messages des affiches collées au mur par les militants du collectif (photos), l’un d’entre eux s’offusquait vendredi : « Je trouve que c’est un peu violent. Bien sûr que certains comportements n’ont pas lieu d’être, d’ailleurs cela n’arrive pas dans mon établissement. Mais dans la rue… Si j’interviens, que se passe-t-il ? Il peut y avoir des coups… Et c’est moi que l’on embarque, que l’on peut accuser de ‘réaction disproportionnée’. »
« Il y a en effet quelques zones de tension dans le XIe arrondissement, et notamment dans la rue de Lappe », acquiesce Stéphane Martinet (PS), adjoint Prévention, Sécurité, Médiation, et ayant tenu à être présent vendredi pour « prendre en considération » les actions du collectif. « Les élus de la ville partagent ce constat et même s’en inquiètent. Il y a un besoin d’action. » Mais rien n'est encore acté à ce jour.
Recours juridiques ?
« Certaines lois peuvent être invoquées pour permettre aux victimes de se défendre, explique Delphine, 29 ans, militante du collectif. Mais il faut vraiment le vouloir. » La loi sur le harcèlement sexuel tout d’abord, mais qui ne concerne que les actes à la fois répétés dans le temps, et venant d’une même personne.[fn]« Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. »[/fn] « L’article 33 de la loi du 29 juillet 1881* punit également les injures dans l’espace public, précise en outre la militante. Mais le collectif ne compte pas prendre appui sur la judiciarisation. Il est déjà tellement difficile de porter plainte pour une agression sexuelle… » La priorité va donc à l’éducation, une solution également prônée par Najat Vallaud-Belkacem. Le collectif, qui n’en est qu’au début de sa réflexion, réfléchit notamment à des campagnes d’affichage dont le but serait de décourager ces comportements, dans les bars par exemple, avec le concours des gérants volontaires.
La priorité doit aussi être placée dans l'école. Parce que non, "t'es bonne" n'est vraiment pas un compliment.